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Chapitre 6 – Premier voyage

– Les deux seigneurs ? Mais pourquoi ils nous appellent comme ça ?
– Ben t’as qu’à leur demander, hein !
– Oh c’est malin !
– Penserais tu comme moi qu’il serait mal venu de demander des explications sur quelque chose qu’on n’est pas censé savoir ?
– Oui, mais les deux seigneurs…

– Attends, je te le fais :”Bonjour vous deux, on a vous a entendu parler de nous dans un enregistrement dont vous ignorez l’existence et vous nous y traiter de seigneurs. Pourriez vous avoir l’extrême obligeance de nous dire pourquoi ?” Génial, ils vont être ravis et je te fiche mon billet qu’ils vont poser des questions eux aussi. Tu veux vraiment leur expliquer que dans les laboratoires, les conversations des opérateurs sont enregistrées comme les autres données, sur une piste que nous seuls pouvons lire ?
– Ça va j’ai compris.
– A la bonne heure.
– Mais les deux seigneurs…
– Ok, on va passer à autre chose. Élisa Martin attend dans la salle de départ. Allons-y.

– Mademoiselle Martin bonjour !
– Bonjour !
– Premier voyage aujourd’hui ?
– Oui !
– Nerveuse ?
– Un peu.
– Tout va bien se passer, vous allez voir. Nous allons nous rendre dans la cabine vitrée que vous pouvez voir au fond de la salle. Nous y avons tous nos appareils de mesure et nos moniteurs. Nous vous donnerons les instructions de là-bas. A mon signal, vous entrerez dans la machine de voyage. Le couvercle se fermera tout seul. Après un petit moment le gaz va être envoyé, et vous pourrez commencer à voyager. Grâce au catalyseur votre esprit pourra se focaliser sur d’autres esprits. Les voyages dans l’espace c’est comme ça que ça marche : les esprits attirent les esprits. Ils se peut que pendant quelques secondes, voire une minute ou deux, vous n’alliez nul part. Le gaz doit faire effet. Mais dès que ça commence, c’est une expérience que jamais vous n’oublierez. Vous pouvez revenir à n’importe quel moment. Il suffit de le vouloir. Comme c’est votre premier voyage, nous vous enverrons un signal de retour dès 4 heures. C’est déjà très bien. Un autre à 8 et une série de trois à 12. A 12h quoi qu’il arrive, nous vous rapatrions. Les réserves de gaz ne sont pas calibrées pour aller au delà. Plus de catalyseur : terminé le voyage. Croyez moi, revenez avant. Sinon, c’est très désagréable. Vous reconnaîtrez le signal facilement. L’entraînement suffit pour que vous puissiez y réagir. Lors de votre retour, vous aurez une impression de chute, comme dans les montagnes russes, mais dans le noir. C’est très bref. Pas très agréable, mais, nettement plus supportable que l’arrêt du gaz. Ce sera peut-être le petit moins de la journée. Mais ce sera vraiment anecdotique comparativement au reste de votre journée.
– J’espère bien.
– Mais assez parlé, nous allons dans notre bulle de verre. Et vous, dirigez vous vers la nacelle.

– Bon on lui balance la même séquence que la dernière fois : la musique, les paroles de l’opérateur et on enregistre ses données vitales. Après on envoie les gaz.
– Ok. Mademoiselle Martin, tenez vous prête ! Allongez-vous dans la nacelle. Très bien. Maintenant, attention à la fermeture du couvercle. Et écoutez bien tout ce qui va vous être dit.
– Bon ben c’est parti.
– Ouep, tout va… oh mince, regarde déjà un pic cardiaque. On a pas encore envoyé les gaz. On continue ?
– Regarde, elle se calme. C’est bon. Ça n’a pas duré longtemps. Sans doute une petite angoisse lié à la fermeture, au confinement. Allez, on balance les gaz, maintenant !
– C’est fait. Bon ça a l’air d’aller.
– Je crois que t’as parlé trop vite. Le pouls augmente. C’est mauvais.
– J’aime pas ça.
– Elle vient de hurler
– Le pouls ne se calme pas. Il va falloir arrêter de toute urgence.
– Tu veux dire, on coupe les gaz ?
– Oui on coupe les gaz. Maintenant !
– Ça tousse et ça crache là-dedans. A tous les coups elle a vomi.

– Mademoiselle Martin ?
– Aidez moi à sortir de là ! Eurk !
– On va vous conduire jusqu’aux toilettes pour que vous puissiez vous rafraichir.
– Je crois que j’ai surtout besoin d’un chemisier de rechange.
– On va essayer de vous trouver ça. Attendez, je vais passer un coup de fil à l’administration.

– Mademoiselle Martin, l’administration vous propose d’aller prendre une douche dans l’appartement des invités. Quelqu’un va venir vous chercher pour vous y conduire. Vous pourrez y choisir une tenue de rechange dans la penderie qui sera ouverte pour vous. Quand vous aurez fini, vous pourrez vous reposer. Nous vous attendrons pour le débriefing.
– Le débriefing.
– Oui, nous voudrions que vous nous racontiez ce que vous avez vu et ressenti.
– On peut pas le faire maintenant que ce soit fini ?
– Vous ne préféreriez pas changer de vêtements d’abord ?
– Oh c’est vrai que je sniffe un peu… Tiens on dirait Alice.

– Bonjour je m’appelle Alice, veuillez me suivre.
– Eh on s’est vu il y a un mois.
– Possible.
– Certaine.
– On y va ?
– On y va !

– Bien Mademoiselle Martin, ça va mieux ?
– Euh oui. Bien mieux. C’est le grand luxe là-haut. Un peu chic les fringues hein. Je les ramènerais la prochaine fois
– Ce ne sera pas nécessaire. Cadeau de la maison.
– Ah bon ?
– Oui, oui. Nous aimerions que vous gardiez un souvenir pas totalement négatif de votre journée. Pouvez vous nous raconter ce qu’il vous est arrivé ?
– Ben c’est à dire qu’au début, c’est comme la dernière fois. Dès qu’on parle des personnes que j’aime et de mon amoureux…
– Vous vous souvenez de la phrase exacte ?
– Euh je pense : “vous êtes entourée de ceux que vous aimez le plus, votre meilleure amie, votre petit ami…” Et là je me suis retrouvée face à lui, enfin au dessus, dans son appart.
– Pardon ?
– Mon petit ami. Je l’ai vu. Chez lui. Il y avait tellement de tristesse sur son visage. Faut dire qu’on s’est encore disputé juste avant que je vienne. Ça avait l’air si vrai.
–  Oh il y a du y avoir un problème avec le gaz.
– Le gaz ? Il était déjà là ? Il m’a semblé le sentir plus tard.
– C’est quasi inodore.
– Et ensuite ?
– Ben comme la dernière fois, la voix m’a calmée et l’image s’est effacée. Puis plus rien pendant quelques instants et après, après… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je me suis trouvée prise dans un tourbillon de couleurs, du bleu, du vert, du rouge. J’avais l’impression de dériver  une vitesse folle. Et puis tout d’un coup le noir absolu. J’avais la sensation d’être loin, mais il n’y avait rien. J’ai crié, parce que je n’arrivais pas à revenir. Puis ça a été comme une chute très brutale. Avec l’impression d’étouffer. Vous avez vu  le résultat. J’ai vomi.
– D’accord, ça ressemble à une intoxication par le gaz.
– Comment ça une intoxication ?
– Une phase hallucinatoire due à un mauvais dosage.
– Un mauvais dosage ?
– J’en ai bien peur.
– Vous plaisantez ?
– J’en ai l’air ?
– Mais comment c’est possible ?
– Nous allons devoir faire une enquête. Mais nous devons éliminer aussi tout facteur biologique de votre coté. Nous devons refaire une prise de sang.
– Mais vous avez déjà un échantillon !
– Vieux d’un mois. Nous voulons votre sang d’aujourd’hui.
– Et qu’est-ce qui va se passer ensuite ?
– Tout dépend des résultats. Si c’est bien une défaillance du système de gaz, nous vous inviterons à recommencer votre premier voyage. Si ça vient de vous, nous aurons une décision à prendre.
– Ah mais je veux faire mes voyages, moi.
– Mademoiselle croyez bien que nous ferons tout pour que ce soit possible.
– Mouais, pas d’indemnité en cas d’impossibilité de voyager. C’est dans le règlement de la loterie.
– Écoutez, nous sommes des scientifiques. Si vous êtes en mesure de voyager, vous voyagerez.
– Je ne peux pas m’empêcher d’être déçue. Mais tout ce qu’il me reste c’est attendre, n’est-ce pas ?
– Voilà.
– Au revoir alors.
– Une petite prise de sang avant de partir, si vous le permettez.
– Ah oui, désolée, j’avais déjà oublié.
– Votre bras s’il vous plait. Voilà !
– Ah ben là, j’ai rien senti !
– Tant mieux ! Nous vous tiendrons au courant le plus tôt possible. Au revoir Mademoiselle Martin. J’appelle Alice pour qu’elle vous raccompagne.

– T’en penses quoi ? Ça n’a rien à voir avec le gaz n’est-ce pas ?
– En tout cas c’est pas des hallucinations. Le petit ami, elle a raison, elle l’a vu que le gaz n’était pas encore envoyé.
– Mais ce n’est pas possible !
– On dirait que si.
– Et ensuite, avec le gaz, elle n’a accroché aucun esprit. Elle a erré dans l’espace, a traversé sans doute des étoiles gazeuses et s’est arrêté dans le vide absolu. Incapable de revenir.
– Hum. Et juste avant, elle a fait un corps astral sans gaz…
– Ouaip ! T’as notre analyseur ?
– Évidement, je l’emmène toujours quand on est sur une anomalie, même s’il ne sert jamais d’ordinaire. Il semble que cette fois, il va prendre du service. Attends, je te le sors. Le voilà.
– Voyons donc ce qu’on a. Une petite goutte de sang sur le capteur et … allons voir les résultats sur l’écran récepteur.
– Alors ça !
– Impossible !
– Mais arrête de dire impossible quand t’as le résultats sous les yeux.
– Euh je voulais dire incroyable.
– Clair !
– Des traces d’hybridation dans son ADN. Avec une autre espèce. Non terrestre.
– On a du lourd. Je croyais que c’était une légende, cette histoire de croisement d’humain avec une espèce alien.
– En tout cas, le résultat est là. Et ça impacte ses capacités à voyager. Je crois qu’on va devoir lui annoncer la mauvaise nouvelle : ses voyages dans l’espace s’arrêtent maintenant.
– Non mais t’es complètement malade : elle est capable de corps astral sans gaz – sous le coup de l’émotion apparemment – et tu veux l’empêcher de voyager ? Mais elle a un potentiel qui dépasse largement les autres de son espèce.
– Justement, elle va se faire remarquer.
– Eh bien elle sera douée voilà tout. Nous avons déjà des cas de personnes qui sont allées très loin et ont sauté des mondes. De toute façon, on peut ajuster le gaz grâce à l’analyse de son sang pour qu’elle puisse voyager tranquillement. Avec nos appareillages c’est possible. Tu le sais.
– Tu as raison. Mais je persiste  à penser qu’on joue avec le feu.
– On jouera avec sa mémoire si nécessaire.
– On essaiera de ne pas avoir à le faire.

Annie

4 commentaires

  1. Et bien, très inattendu comme suite ! La lectrice que je suis a été surprise par la tournure de ce voyage !

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