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Chapitre 1 – Retrouvailles

Paul ouvre la porte et un homme d’une trentaine d’années se lève promptement du fauteuil dans lequel il attendait.
– Élisa ! dit-il avec une pointe d’émotion dans la voix. Il hésite cependant à s’avancer vers elle.
Élisa le regarde intensément et n’en croit pas ses yeux. A force d’avoir été dans ce corps Dalygarien de manière prolongée, elle en a gardé quelques aptitudes et développé d’autres apparemment. Et malgré le changement radical d’apparence – humaine cette fois, elle sait parfaitement qui est en face d’elle. C’est bien lui : c’est le Commandant.

– Mais c’est impossible… s’exclame-t-elle.
Paul se lance dans une explication :
– Quand tu es venue chercher de l’aide il y a deux mois dans le passé, tu nous as raconté l’épidémie sur Dalygaran et la mort du Commandant. Tu nous as dit qu’il était venu te parler pendant ton sommeil pour te supplier de revenir et qu’il avait jeté ses dernières forces dans cet ultime message. Tu avais l’air tellement bouleversée. Alors nous avons eu une idée. Nous avons voulu lui donner une nouvelle chance. Nous l’avons intercepté avant qu’il ne tente de repartir et lui avons proposé un corps. Nous lui avons dit que tu avais répondu à son appel et que tu savais voyager dans le temps, mais que lui n’avait pas eu la force de revenir sur Dalygaran. Nous l’avons récupéré de justesse. Il est resté inconscient quelques heures.
– Alors c’est lui ? C’est bien lui ? C’est le Commandant ?
– Oui. On a eu deux mois pour préparer son corps. On s’est inspiré de ton tableau. Et aussi on l’a fait comme toi.
– Comme moi ? demande Élisa interloquée.
– Oui tu sais ces capacités que tu as, il nous a semblé que s’il devait vivre dans un corps humain, il devait les avoir lui aussi. Qu’il puisse voyager comme toi. De la même manière. C’est notre petit cadeau bonus.
– Mais bon sang qui vous êtes ? Comment vous avez fait ça ?
– Élisa, tu le sais on ne peut rien te dire.
– Ouais, ouais, je sais : spaleur comme vous aimez dire.
Paul sourit.
– Eh bien nous allons vous laisser maintenant, dit-il.
– Quoi ? répond Sylvestre.
– On s’en va.
Et Paul entraîne Sylvestre par la manche hors de la pièce.

Élisa se tourne vers le Commandant, toujours immobile et silencieux.
Brun, la peau beaucoup moins pâle que la sienne, les yeux du même gris foncés que la version Dalygarienne du Commandant, un peu plus grand qu’elle et assez mince, elle se dit que les deux Martins ont fait un sacré beau travail…
Le Commandant finalement s’approche d’elle :
– Élisa je voudrais vous d…
Et il se prend une gifle monumentale.  La gestion des émotions ne fonctionne pas très bien lorsqu’il s’agit du Commandant. Élisa explose :
– Ça, c’est pour m’avoir menti sur Dalygaran et pour avoir laissé une bande de bureaucrates décider de m’effacer la mémoire. Vous m’avez déçue. Profondément !
Le Commandant se frotte la joue :
– Il me semble quant à moi que votre mémoire est excellente.
– J…
– Laissez moi une chance de m’expliquer. S’il vous plaît, ne m’interrompez pas.
Lorsque vous êtes arrivée sur Dalygaran, j’ai été chargé d’analyser l’échantillon de votre mémoire. J’ai eu la surprise d’y détecter des effacements récents. Mais encore plus surprenant, j’y ai observé le début d’une phase de régénération. J’ai compris très vite qu’on ne pouvait pas vous effacer la mémoire. Et j’avais sept jours. Sept jours pour décider de ce que je dirais au Grand Conseil.
Le Commandant lève la main alors qu’Élisa s’apprête à parler.
– Je n’ai pas terminé. La décision que je devais prendre était la suivante : vous permettre ou non de rentrer chez vous. Si le Grand Conseil avait appris pour votre mémoire, il n’aurait pas voté une aide à votre retour. Il vous aurait sacrifiée, en tout cas votre vie Terrienne. Vous ne seriez jamais revenue de Dalygaran. Je vous ai évaluée jour après jour. Et lorsque nous sommes allés à la Grande Cascade, j’ai ressenti une telle émotion chez vous. Moi qui voulais vous offrir un moment de détente…
– Je vous assure, que c’est un de mes plus beaux souvenirs sur cette Planète. Et vous aviez raison, nager m’a profondément détendue. Mais, je vous en prie, continuez.
– Il n’est pas simple pour un Dalygarien de comprendre comment une telle force et une telle vulnérabilité peuvent coexister à l’intérieur d’un même personnage. Élisa, vous avez une volonté farouche. Votre attitude en combat est… remarquable. Vous apprenez si vite. Il ne s’agit pas tant des capacités exceptionnelles dont vous êtes dotée, mais surtout de ce que vous en faites. Vous n’abandonnez jamais. Vous vous êtes prêtée à un nombre insensé d’exercices contraignants. Vous aviez la soif d’apprendre et le désir de bien faire. Mais cette force se serait brisée en mille morceaux si vous n’aviez pu rentrer chez vous. Vous me faisiez tellement confiance. J’ai choisi de ne pas trahir cette confiance là. Mon rapport sur l’analyse de votre mémoire devant le Grand Conseil a omis toute information sur vos capacités mémorielles. Et comme il m’a semblé inutile que vous soyez soumise à un effacement de mémoire de plus,  j’ai plaidé pour qu’on vous donne une pilule plutôt qu’une injection, prétextant que vous détestiez absolument ce genre d’administration. Il est si facile de substituer une pilule à une autre. Celle que je vous ai donné le jour de votre départ ne vous aurait rien fait. C’était une pilule pour rendre l’eau potable. Je ne savais pas qu’Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers et vous complotiez dans mon dos.
– On n’aurait pas eu besoin de comploter si vous m’aviez parlé.
– Je vous aurais volontiers parlé si vous ne vous étiez pas enfuie comme une gamine !
– Je ne suis pas une g…
Le Commandant lève son index à hauteur de ses lèvres et dit à Elisa.
– Chut, je sais. Mais vous êtes parfois…
– … impossible, je sais.
– Ce soir là, j’étais venu pour vous parler de mes plans. Il m’était difficile de le faire avant. Je ne savais pas si je réussirais à convaincre le Grand Conseil.
– Vous leur avez menti.
– Oui.
– Pour me protéger…
– Pour empêcher une injustice. La Grande Honte ne doit pas nous transformer en monstres à notre tour.
– Les meilleurs soldats sont ceux qui savent quand ne pas appliquer les règles…
Le Commandant hausse les sourcils assez surpris d’une telle affirmation.
– Ne pas appliquer les règles est parfois une lourde responsabilité. On est jamais sûr à 100% de ses décisions, lui répond-il. Et on est seul.
Le silence s’installe quelques instants. Élisa comprend bien que le Commandant s’est trouvé devant un choix difficile, et cherche à détendre l’atmosphère.
– J’aurais aimé voir votre tête quand vous m’avez vu me dématérialiser.
Le Commandant sourit.
– Oh vous savez ça. Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, c’est lui qui vous l’a raconté n’est-ce pas ?
– Oui. Il m’a aussi dit que vous étiez mélancolique depuis mon départ.
– C’est un bavard…
– Vous étiez mort. Enfin je veux dire, tout le monde là-haut le croit encore.
– Élisa, vous me manquiez, c’est vrai. Vous savez que vous êtes la seule femme sur Dalygaran qui n’ait pas trouvé mon nom ridicule ?
– J’étais dans un corps d’homme.
–  J’étais bien placé pour savoir qu’il ne s’agissait que d’une enveloppe.
– C’est Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers vous a dit ce que je pensais de votre nom, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Vous avez raison, c’est un bavard.
– Vous voyez. Il m’a fait la leçon après que je sois sorti en claquant la porte le premier jour. Il m’a dit que j’aurais pu me montrer plus aimable, que vous méritiez plus de considération et que si jamais ça m’intéressait, vous aviez trouvé mon nom joli. Personne n’avait jamais qualifié mon nom de “joli” avant vous. C’est bête à dire, j’ai été touché. S’il vous plait Élisa ne vous moquez pas.
– Oh je ne me moque pas, je vous trouve adorable. Enfin, je veux dire…, bafouille-t-elle. Voilà que c’est vous qui vous moquez maintenant

Le Commandant sourit.
– Élisa, je suis très heureux de vous avoir retrouvée.
Puis il prend une grande respiration.
– Il va falloir que je m’habitue à cette nouvelle apparence maintenant…
– Vous allez voir, le psychisme humain n’est pas mal non plus. Vos repères Dalygariens risquent d’être quelque peu bousculés. Le tout en étant empathique… Vous n’avez pas perdu votre empathie, n’est-ce pas ?
– Non, je crois qu’elle est intacte.
Puis le ton de sa voix s’affaisse un peu et il dit dans un souffle :
– Élisa, vous m’avez reconnu.
– Oui, ça je sais.
– Je n’étais pas reconnaissable. Mais vous avez su que c’était moi. Vous savez ce que ça veut dire ?
– Que j’ai encore de nouvelles capacités ?
– Non, enfin si. C’est Dalygarien. Il s’agit du… lien.
– Quoi ? Comme avec les chevaux ?
– Non pas ce type de lien.
– Alors quel genre de lien ?
– Vous ne le devinez pas ?
– Je ressens… En fait, je n’ai jamais cesser de…
Élisa se tait et s’approche du Commandant.
– On est lié alors, murmure-t-elle lorsqu’elle se trouve juste face à lui.
– Je…
– Chut, dit-elle en lui mettant le doigt sur la bouche.
Puis elle se grandit juste ce qu’il faut pour atteindre ses lèvres et l’embrasse doucement.
– Ce lien là exactement, chuchote-t-il
Et il l’embrasse en retour.
– Commandant…, murmure Elisa.
– Élisa, sur Terre il n’y a pas de Commandant. Je suis désormais David. David Cristal.
– David ?
– Vous n’aimez pas ?
– Mais si voyons. Je me demandais juste pourquoi ce prénom David. C’est vous qui l’avez choisi ?
– Oui. Les deux Martins m’ont montré un de vos calendriers. Vous mettez des prénoms en face des jours. Ils m’ont dit d’en choisir un. Sur Dalygaran, je suis né trois jours avant le levé de l’anneau d’or. Alors, j’ai pris celui qu’il y avait, trois jours avant la fin votre année. Voilà…
– David, vous et moi si on était sur Dalygaran, est-ce qu’on aurait ronronné ?
Le Commandant regarde Élisa très déconcerté.
– Vous en avez de ces questions. Je ne sais pas.  Enfin si. Il est difficile de s’embrasser sans ronronner un peu avant…
– Je suis désolée, je n’aurais sans doute pas dû poser cette question. C’est si… inattendu pour un humain de voir ronronner des gens. Je crois que j’adorerai ça. Enfin pas ici. Là haut, sur Dalygaran.
– Ça vous plairait d’y retourner ?
– David, si on est lié, on pourrait peut-être se tutoyer ?
– Tu as raison.
– Pour répondre à ta question, je n’imagine pas ne pas retourner là haut maintenant. Quelqu’un m‘a dit un jour que je n’étais pas faite pour rester coincée sur Terre.
– Tu te sens coincée ici ?
– En quelque sorte. Je vis dans un monde qui ne connaît pas les téléporteurs et encore moins les voyages dans le temps. Je ne peux partager mon expérience qu’avec les deux Martins et depuis aujourd’hui aussi avec toi. En parlant des deux Martins, si on allait les rejoindre maintenant. J’ai des tas de choses à raconter. Ça te dit de savoir comment j’ai trouvé l’Étoile du Matin ?
– Oh Élisa, bien sûr. Mais sans vouloir paraître grossier, je crois que ce corps n’a pas encore mangé depuis qu’on me l’a donné et j’ai une de ces faims.
– Je sais ce que c’est, répond Élisa en riant. Alors allons mettre du carburant dans ce nouveau corps !

Annie

4 commentaires

  1. Bonjour Annie.
    Si le commandant et Elisa ont des enfants, ils vont avoir une sacré hérédité. Manque plus qu’ils les appelles Paul et Sylvestre…

    • Va savoir Cyrille. Peut-être qu’au Cycle d’Élisa succèdera un cycle à propos de la génération suivante. On a déjà la jeune Moon Crystal, il y a aussi Lucia…

      • Effectivement, ça pourrait être une bonne idée. Mais les réunions de famille risquent d’être compliquées pour Élisa (surtout si le père de Cristal de Lune veut voir ses petits enfants….). Maintenant j’attends de lire la suite avec impatience et voir ce que veulent les deux Martiens euh! Martin à Élisa et au commandant. Si j’ai bien compris, ils sont là depuis un moment sur terre et ont aidé le développement de la technologie du « voyage ». Ça m’étonnerait qu’ils aient fait tout cela juste pour le fun.

        • Le corps terrien du Commandant est une création des Martins. Est-il simplement fertile ? C’est la condition de base pour avoir une descendance 😉
          Le mystère des deux Martins sera levé dans la partie 4. Patience, patience…

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