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Chapitre 3 – A propos de Sylvestre et Paul – Partie 1

Élisa et le Commandant sont dans leur chambre au palais royal Frigellyen. Ils sont tous les deux en peignoir après avoir pris une douche. Élisa n’avait jamais vu un tel type de douche. Elle avait eu l’impression que l’eau venait d’un peu partout en fine pluie ni vraiment chaude, ni vraiment froide. Elle était ressortie de là avec un bien-être certain et s’était demandée s’il y avait des produits relaxant dans l’eau de douche du Palais. Se dirigeant vers les armoires où sont rangés quelques habits propres pour elle et le Commandant, Élisa demande soudain :
– Tu crois que c’est ici que nous avons conçu notre fille ?
– Quoi ?
– Eh bien nous venons de…
– Oui, je m’en souviens assez bien.
– Imbécile.
Le Commandant éclate de rire.
– Élisa, peu importe où et quand. Nous n’allons tout de même pas nous poser la question à chaque fois, maintenant que nous le savons.
– Nous savons aussi à peu près son âge. Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers a dit que cela faisait 16 anneaux d’or qu’on ne lui avait rien dit. Même si je ne sais pas très bien combien ça peu faire en années Terriennes.
– 19. Crois moi, j’ai déjà fait le calcul dans ma tête dès qu’il nous l’a dit. Donc tout au plus notre enfant pourrait avoir dans les 18 ans. Et elle a « emprunté » un corps. Indisciplinée comme sa mère, la nargue-t-il.
– Oh je n’en crois pas mes oreilles, répond-elle feignant d’être outrée. Ca mérite une vengeance, ça Monsieur.
Élisa a déjà un oreiller à la main, lorsque trois coups se font entendre à la porte.
– Qui-est-ce ? demande le Commandant.
– C’est moi Sylvestre.
– Dès qu’on se met à chahuter, il y a quelqu’un qui frappe à la porte, dit Élisa en riant.
– On s’habille et on vous ouvre, répond le Commandant à travers la porte.
– Je peux revenir plus tard si vous voulez.
– On ne sera pas long, lance Élisa.
De fait, ils ont déjà commencé à fouiller l’armoire tout en parlant, et sont en train de s’habiller à toute vitesse.
– On a presque terminé Sylvestre, l’informe Élisa tandis qu’ils s’agitent toujours frénétiquement pour enfiler leurs nouveaux habits. Élisa regarde le Commandant et ne peut retenir un sifflement :
– Ouah, très chic.
– T’es pas mal non plus, lui répond-il. Ouvrons à Sylvestre maintenant.
– Paul ne va pas tarder, dit celui-ci en entrant. Il participe la session d’entrainement de Nori avec Christophe. On est censé se rejoindre chez vous. Je crois que je suis un peu en avance.
– Ne restons pas debout, dit le Commandant.
Chacun prend place : Élisa et le Commandant ensemble sur un canapé et Sylvestre face à eux dans un fauteuil.
– Je… commence Sylvestre, avant de s’interrompre.
Il se frotte les yeux, soupire et reprend :
– Vous avez compris qui nous sommes maintenant, n’est pas ? Des presque-humains. Des incomplets. Et nous sommes amputés de ce qu’il y a peut-être de plus beau au monde : l’amour.
– Sylvestre, Paul et toi avez des sentiments, vous l’avez maintes fois montré, relève Élisa.
– Nous ne pouvons pas procréer. On n’en a de toute manière pas envie. C’est ça qu’on nous a ôté. On est incapable d’aller au delà de l’affection fraternelle. Certes, ça peut rester intense, mais quand on vous voit vous deux, on se dit qu’on passe vraiment à coté de quelque chose.
– Je comprends, murmure Élisa se rendant soudain compte de la drôle de vie de ses amis.
– On m’a affecté Paul comme partenaire pour ma première mission spatio-temporelle. Je sortais du centre d’éducation, et j’étais très enthousiaste à l’idée de voyager dans le temps. On nous conditionne bien.
– Un centre d’éducation, c’est quoi, une sorte d’école ?
– Élisa, on nait adulte. Notre esprit est une copie d’un esprit ayant existé, nettoyé de ses souvenirs personnels. Le jour où nous ouvrons les yeux pour la première fois, nous savons parler, lire, écrire, sans avoir suivi aucun cours, mais nous ne connaissons rien à la vie. Pendant 5 ans, on va nous apprendre à être des humains. Enfin des presque-humains. Mais ça on le découvre seulement une fois dehors. Pour en revenir à Paul, il venait de perdre sa partenaire qui s’était enfuie au retour de leur dernière mission. Ça arrive souvent. Beaucoup de presque-humains rentrent en clandestinité. Nous avons été envoyés pour un voyage d’un an à une période charnière de l’histoire de la Terre, le début des voyages dans le temps.
– Ça me plairait de voir ça aussi, dit Élisa.
– Je n’en suis pas étonné, répond avec un triste sourire Sylvestre. Puis il continue :
– Vous l’avez remarqué : Paul et moi on est très différent. Il n’était pas ravi de se voir affecter un nouveau partenaire, surtout un tout juste sorti du centre d’éducation. Nous avons eu des débuts difficiles tous les deux et nous avons fini par apprendre à nous servir de notre complémentarité et à nous faire confiance.
A ce moment précis on frappe à la porte.
– Ce doit être lui, dit le Commandant. Je vais ouvrir.

C’est effectivement Paul qu’on découvre derrière la porte. Il est radieux.
– Bonsoir tout le monde. Je suis vanné, mais j’adore vraiment ces séances d’entrainement avec Nori.
– Nori est un maître d’armes que j’apprécie beaucoup, même si nous avons des techniques quelques peu différentes.
– Je serais ravi que vous me montriez ça un jour, David.
– J’en prends note.
– J’étais en train de raconter nos débuts ensembles, intervient Sylvestre.
Paul prend place dans l’autre fauteuil qui fait face au canapé, et le Commandant regagne sa place auprès d’Élisa.
– Oh, il vous a dit que je n’étais pas très chaud de me trimballer un gamin de 5 ans encore tout conditionné par le centre d’éducation ?
– Il ne l’a pas dit comme ça, mais on avait à peu près saisi la situation, répond le Commandant.
– Au fait David, tu ne m’avais pas dit que normalement les de voyageurs du temps terriens étaient des personnes de …
Élisa s’interrompt brutalement, sentant une poussée de stress émaner de Paul. Elle le regarde fixement un instant et il lui fait un discret signe « non » de la tête.
– … même âge ? continue-t-elle, toujours fixant Paul, pour voir si elle avait bien récupéré le coup.
Paul ne laisse pas le temps au Commandant de répondre. Il prend la parole aussitôt :
– C’est rarement vrai pour la première mission. Mais, oui, par la suite, on envoie ensemble des personnes de même génération. Quand Sylvestre et moi on s’est rencontré, c’était pour sa première mission et elle a duré tout juste un an. J’ai eu fort à faire pendant ce temps–là. Ça a été tendu entre nous deux, continue Paul. Moi, je suis un scientifique, pas une nounou.
– Combien de fois je me suis entendu dire ça !
– Mais au final on travaille bien ensemble. Il vous a dit qu’à l’issu de notre première mission, je suis entrée à mon tour en clandestinité ?
Élisa et le Commandant font « non » de la tête.
– Quand nous sommes rentrés, j’ai été contacté par mon ancienne partenaire. Elle m’a convaincu de rejoindre son réseau. Les presque-humains essaient de se rassembler. Nous recherchons aussi ceux qui sont resté cachés dans les autres époques. Nous ne savons pas au juste combien nous sommes. Mais au mieux nous nous compterons en quelques milliers. Nous sommes vraiment une minorité par rapport aux autres humains de la Terre.
– Depuis les débuts des voyages dans le temps, poursuit Sylvestre, des générations de presque-humains se sont succédées. Il y a eu plusieurs révoltes et à chaque fois nous avons gagné des droits supplémentaires. Mais ce dernier droit, celui d’être entier et de pouvoir être pleinement humain ne nous a jamais été accordé : requête irrecevable, nous a-t-il été répondu jusqu’ici.
– Et on est beaucoup de presque-humains à vouloir que ça change. C’est ce que j’ai découvert en clandestinité.
– Peu après que Paul soit parti, j’ai reçu un message anonyme qui disait :
Sylvestre et Paul le disent en chœur : « La personne qui va vous rendre votre humanité est une anomalie du XXVème siècle. Trouvez-la. Protégez-la. »
– Il a tout fait pour me retrouver et m’a proposé de venir au XXVème siècle avec lui, complète Paul. Et j’ai fini par accepter. Élisa, on a cru que c’était toi…
– Et ce n’est pas moi ?
– Non c’est lui, répond Sylvestre en montrant le Commandant du doigt. Nous ne l’avons compris que lorsque nous avons fait les recherches avec les juristes. Nous sommes d’anciens esprits transférés dans un corps neuf. Et c’est l’absence de savoir sur ce que pourrait devenir une génération issue de gens comme nous qui finalement suffit à bloquer le processus. On pouvait tourner le problème dans tous les sens, c’était insoluble…

Paul profite d’une pause de Sylvestre pour reprendre la parole :
– Quand nous avons eu l’idée de vous offrir un corps, David, notre obsession a été de faire pour vous ce qui nous a été refusé. Votre corps n’a pas été créé chez nous en deux mois. Ce n’est techniquement pas possible. Il a été fabriqué par notre réseau de clandestins, à notre époque sur nos indications. Ça leur a pris un an. Mais, en ce qui nous concerne, nous l’avons reçu quelques jours après notre demande, et nous avons eu deux mois pour finir le travail avant que votre esprit n’arrive sur Terre.
– D’accord, mon esprit a trouvé un corps neuf. Mais en quoi est-ce censé vous rendre votre humanité ?
– Par le devenir de votre descendance qui crée le précédent et comble le vide juridique, réplique Sylvestre. Notre requête de devenir humain à part entière devient recevable.
– Notre descendance, voyez-vous ça. N’êtes vous pas censé nous épargner les allusions à notre futur ? demande Élisa d’un ton taquin.
– Nous connaissons l’identité de la personne qui a donné l’alerte quand vous étiez dans notre monde, précise Paul.
– Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers n’est-ce pas, fait le Commandant.
– Il avait besoin de le dire à quelqu’un.
– Élisa, il y a quelque chose que ces deux là ne savent pas, dit malicieusement le Commandant. Tu sais, au sujet de notre avenir… proche.
– Quoi ?
– Ce que mon père est allé annoncer à nos deux amis Dalygarien…
– Ah, ça ?
– Oui, ça.
– On les invite tu crois ?
– Il va falloir qu’on y réfléchisse.
– Ca va durer longtemps le suspense ? s’agace Paul.
– Paul, Sylvestre, David et moi, nous avons décidé de nous marier finalement.
– Nous ferez vous l’honneur de faire partie de la fête ?
– Oh les petits cachottiers. Paul, je ne sais pas, mais moi je viens.
– Bien sûr que je viens aussi. Ça va être quand ?
– On ne sait pas encore. On doit attendre la fin du procès de deux de nos amis. Vous pouvez nous expliquer, répond Élisa.
– Disons qu’en s’étant réfugié clandestinement sur Terre dans sa version alpha et en y ayant utilisé des technologies Epsilon, on a violé pas mal de règles, précise Sylvestre.
– On parlera de ça plus tard. On ne risque pas grand chose de toute manière, annonce Paul.
– C’est ce qu’on n’arrête pas de nous dire.
– Eh bien dans ce cas, croyez-le !
– Ok, ok, répond Élisa. Au besoin, on cuisinera Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Tu n’es pas très charitable, bougonne Sylvestre.
– C’était une boutade, réplique Élisa, un peu vexée.
– Je…
Sentant la détresse de Sylvestre, Élisa se reprend aussitôt.
– Ce n’est pas grave Sylvestre. Il peut arriver qu’on ne se comprenne pas. Ce n’est pas grave, répète-t-elle
– Et si on allait tous se dégourdir un peu les jambes. On s’encroute à rester assis comme ça dans une chambre, intervient le Commandant. Que diriez-vous d’un petit tour à la grande Terrasse ? Le jour est en train de se coucher, ça doit être magnifique là-haut. Alors les gars ?
– Merci, mais moi j’ai besoin d’un peu de repos. Les séances avec Nori sont intenses et je ne suis plus tout jeune répond Paul. Je m’en vais faire une petite sieste.
– Quant à moi, j’ai un tableau en cours que j’aimerai terminer.
– On y va tous les deux alors ? demande le Commandant à Élisa.
– On dirait, rétorque Élisa.
– N’oubliez pas que nous sommes tous attendu à la table de la Reine et du Roi ce soir. On se rejoint là-bas dans un peu plus d’une heure ? propose Sylvestre, en se levant de son siège.
Les 4 amis se saluent, les deux Martins félicitant le couple de futurs mariés avant de s’éclipser.
– Sylvestre ne va pas bien, dit Élisa dès qu’ils se retrouvent seuls.
– Oui, je l’ai senti également. Il fait tout ce qu’il peut pour le cacher, mais il y a une telle tristesse dans son cœur.
– J’irai lui parler dès que je pourrais.
– Quant à moi, j’irai voir Paul. J’ai quelques questions à lui poser…
– Oh, ce besoin d‘en savoir plus, c’est Dalygarien, ou humain ?
– Militaire.
– D’accord, répond Élisa en souriant. Eh bien, si nous allions sur la terrasse, maintenant.
– Si vous voulez bien prendre mon bras, Madame.
– Mais avec plaisir, très cher, avec plaisir.

Annie

2 commentaires

  1. Coucou Annie, je n’ai pas compris le stress de Paul dans ce chapitre. On le saura dans le prochain chapitre ? Pareil, je n’ai pas remarqué que Sylvestre était triste … je les mélange un peu ces 2 personnages enigmatiques. Y aurait il qqch de précis qui les differencie ? Une astuce ou un rappel ?

    • Coucou Delphine,
      Oui, dans le prochain chapitre vous saurez ce que Paul ne voulait pas que Sylvestre apprenne. Pour ce qui est des deux Martins et leur personnalité, j’avais l’intention de faire un « derrière la scène » après le chapitre 4 qui clôt les révélations sur le passé de ces deux-là.
      Il n’est sans doute pas facile de se souvenir de comment ils étaient au début. J’ai toujours cherché à les différencier, l’un plus lunaire que l’autre. Et pour ce que est de la tristesse de Sylvestre, c’est une information donnée par Élisa et le Commandant qui s’en rendent compte grâce à leur capacité d' »empathique », version Dalygarienne. Il ne faut pas chercher plus loin. Et là encore, la raison de cette tristesse est dévoilée dans le prochain chapitre à paraitre, mercredi prochain 🙂

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