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Chapitre 9 – Une journée entre filles

Le même jour, quelques temps après le départ du Commandant sur Dalygaran.

– Salut Paul. Je suis bien chez David et Élisa, je ne me suis pas trompée ?
– Bonjour Lucia. Tu es bien au bon endroit, ne t’en fais pas. David et Élisa sont chez nous. Je suis chargé de t’accueillir en entendant qu’ils reviennent.
– Ils sont en voyage ?
Paul regarde la jeune fille avec étonnement.
– Je vous connais tous depuis fort longtemps. Je sais comment ça fonctionne. Ils partent de chez toi et N…, hum Sylvestre en avalant une pilule.
– Il n’y a que David qui est parti.
– Ils partent toujours à deux…
– Pas cette fois-ci.
– Que fait Élisa ?
– Elle est partie dessiner avec Sylvestre dans son atelier. Tu veux prendre un petit-déjeuner ?
– Oui, je meure littéralement de faim.
– Allons à coté. Au moins là-bas, je sais où sont les choses. Tu me suis ?
– Oui, allons-y.
Arrivés de l’autre coté, ils vont directement à la cuisine. Paul offre à Lucia des œufs, des toasts et un jus d’orange. Tout disparait rapidement.
– Eh bien quel appétit, dit Paul en riant.
– J’ai peu mangé ces derniers temps, j’étais tracassée. Maintenant que tout est réglé avec Papa, ça va mieux, j’ai retrouvé l’appétit. Dis moi, puisque tout le monde est occupé apparemment, si on faisait une partie d’échec ?
– Tu sais jouer aux échecs ?
– C’est toi qui m’as appris.
– Vraiment ?
– Oui, avec le jeu que Sylvestre m’a offert.
– Et pourquoi ce n’est pas lui qui t’as appris ? Il est bien meilleur que moi…
– Sylvestre a cessé de venir sur Frigellya alors que j’étais encore toute petite. Pour moi hier c’était comme si c’était la première fois que je le voyais. Il m’a fait parvenir le jeu d’échec pour mes 10 ans – un à l’ancienne avec un damier et des pièces, en l’accompagnant d’un petit mot disant qu’il avait la certitude que ce jeu me plaira énormément. Alors tu m’as appris à jouer.
– Je n’ai pas de jeu à l’ancienne ici. J’ai une version holographique par contre.
– On va s’en contenter.
Un peu plus tard, c’est un Paul concentré, et un peu dépité que Sylvestre et Élisa découvrent dans le salon.
– Lucia, vous jouez aux échecs ?
– Il paraît que c’est moi qui lui ait appris.
– L’élève a dépassé le maître, on dirait, le taquine Sylvestre.
– Oui, ça a l’air d’être une constante dans ma vie, répond Paul, toujours concentré.
– Vraiment ? A qui d’autre Paul a appris à jouer aux échecs ?
– A moi, répond Sylvestre.
– Il me bat systématiquement depuis fort longtemps, murmure Paul, en bougeant un pion.
– Échec et mat, annonce Lucia. Je gagne systématiquement contre toi depuis des années aussi. Tu préfères jouer contre Papa. Vous avez disputé des parties interminables… Dites moi Sylvestre, ça vous tente une partie ?
– Pourquoi pas…
Paul se lève pour céder sa place.
– Dans ce cas moi je retourne dessiner un peu. Je vais dans ton atelier Sylvestre.
– Essaie les différentes couleurs avec les pastels. Fais toi plaisir.
– J’y compte bien.
– Quant à moi, je reprends ma lecture. Les échecs sont fort heureusement un jeu silencieux.
La partie n’est toujours pas terminée, lorsqu’Élisa revient.
– Personne n’a faim ? demande-t-elle.
Paul lève les yeux de sa lecture et regarde machinalement le temps affiché au mur.
– Midi et demie, effectivement. Les enfants, il faudrait peut-être interrompre votre partie et la reprendre plus tard…
– C’est nous que tu appelles « les enfants » demande Sylvestre.
– Je trouve ça plutôt sympa, réplique Lucia.
– Je n’ai pas tout à fait l’habitude que Paul soit « sympa », répond Sylvestre. C’est nouveau, mais ça me plait aussi.
Paul ne répond pas à la pique de Sylvestre, se lève et se dirige vers la cuisine.
– Tournée générale de pizzas, propose-t-il à la cantonade.
Tout le monde se dirige vers la cuisine en discutant joyeusement.

Lorsque le repas est terminé Élisa annonce :
– Bien Lucia et moi, nous allons vous laisser. On va rentrer chez nous.
Elle se lève, suivie par Lucia.
Lorsque les deux jeunes femmes ont passé la porte de communication, Lucia dit à Élisa :
– Sylvestre est redoutable aux échecs.
– Possible, moi ce jeu là je ne le supporte pas. C’est beaucoup trop long, lui répond Élisa.
– Je me demande pourquoi il n’est plus venu sur Frigellya alors que Paul, lui, venait régulièrement.
– Je ne sais pas. Ils ne pouvaient de toute manière que venir dans l’espace qui a été cédé à à la Terre et à Dalygaran.
Lucia ne répond pas tout de suite.
– Les choses évolueront finit-elle par lui dire lorsqu’elles sont arrivées au salon.
– D’accord, répond Élisa qui sait que Lucia ne peut en dire plus.
Le silence s’installe quelques instant jusqu’à ce qu’Élisa demande :
– Tu as envie de faire quelque chose en particulier aujourd’hui ?
– Oui. Il y a quelque chose dont j’ai vraiment envie, mais je ne sais pas si…
– Dis toujours.
– Je voudrais voir ma mère, Helena.
– Ah.
– Tu as un transporteur…
– Et le tien, il est resté sur le palier ?
– Non papa a décidé de l’emmener avec lui. Il a du le fusionner avec le sien. Il sait qu’il y en a un ici. Pas besoin de commencer une collection m’a-t-il dit.
– Tu n’as aucun souvenir de ta mère n’est-ce pas ?
– Non aucun. C’est pour ça, que j’aimerai la voir.
– Je ne sais pas si on peut …
– On restera caché. S’il te plait.
– C’est ce que tu as envie de faire ?
– C’est ce qui me tient le plus à cœur.
– Bien, je connais les coordonnées, nous allons venir quelques mois avant. Tu devais avoir dans les 6 mois Terrien quand nous t’avons rencontré avec tes parents. Allons 9 mois en arrière. Ta mère a déjà rencontré ton père, enfin Christophe, et elle est enceinte de toi.
– Tu crois que je pourrai aussi rencontrer mon père biologique avant qu’il ne meure ?
– Lucia, on ne sait pas qui il est. Il faudrait faire quelques recherches…
– D’accord. Ce sera déjà très bien si je peux voir ma mère.
– Le transporteur est dans le débarras du fond. On ne peut y rentrer qu’à une personne. Je l’amène dans le salon que nous puissions y monter toutes les deux.
– Je t’attends ici.

Lorsque le transporteur arrive, Lucia prend un siège à coté d’Élisa. Celle-ci choisit d’atterrir dans le bosquet à proximité de la maison.
– On aurait du prendre des jumelles fait Lucia.
– Attends, il y a un coffre à outils juste derrière moi, je crois qu’il y a des jumelles à l’intérieur.
Élisa se retourne et sans hésiter ouvre une trappe invisible. Elle en extrait des jumelles Frigellyennes, qui consistent en un écran d’environ 12 pouces sur lequel on zoome le paysage devant soit avec la main. Elle sort une perche télescopique avec une griffe de fixation, et installe l’écran dessus. Elle plante la perche dans le sol et la règle de manière à ce que l’écran soit à hauteur des yeux, puis zoome sur la maison.
– Il ne reste plus qu’à attendre.
Soudain, un craquement se fait entendre derrière elles, suivi d’un cri.
– Mais qui êtes vous, quel est cet accoutrement ?
Élisa ayant reconnu la voix d’Helena se cache le visage avec l’écran qu’elle a décroché en catastrophe de son pied.
A Lucia elle murmure dans l’oreille : « c’est elle, elle ne doit pas me voir ».
– Ne restez pas là Madame, mon amie est malade, son visage est déformé. Il vaut mieux s’éloigner, vu votre état.
Et elle lui prend d’autorité le bras pour la conduire un peu plus loin.
Dès que Lucia n’est plus dans le transporteur, Élisa change d’espace temps et son souvenir s’efface aussitôt de la mémoire d’Helena.
Remarquant le panier d’Helena, Lucia dit :
– Vous ramassiez des champignons.
– Vous venez de quelle région avec vos curieux vêtements ?
– De très loin.
– Vous m’avez fait peur.
– J’en suis désolée, je n’en avais vraiment pas l’intention. Je ne suis pas dans la région depuis longtemps.
– Que faisiez vous dans le bosquet ?
– Je faisais comme vous, je cherchais des champignons.
– Vous êtes une piètre chercheuse alors. Vous avez failli piétiner ce beau bolet, fait Helena en revenant vers le bosquet et cueillant le champignon.
– Oups, je suis désolée. J’avoue être une débutante.
– Vous me faites l’impression d’être une de ces aristocrates qui cherchent à sympathiser avec le peuple pour lui soutirer le peu de connaissances qu’il a de la nature.
Lucia est surprise par cette réflexion de sa mère. Sa vie de princesse au château est-elle à ce point visible dans son comportement. Elle répond un peu vexée :
– Je ne cherche à rien vous soutirer. Je suis une étrangère de passage, curieuse de voir comment on vit dans ce coin du monde.
– Comment on vit ? On ne vit pas ici, on survit mademoiselle. Je suis enceinte d’un homme qui est mort de la variole. Et même si je ne suis pas tombée malade, les autres habitants m’ont chassée par peur que je contamine tout le monde. Je suis obligée de vivre avec un type bizarre parce que c’est le seul qui a accepté de m’héberger. Quel avenir va avoir cet enfant ?
– Papa, un type bizarre ?
– Qu’est-ce que vous dites ?
– Vous parliez d’un type bizarre ?
– L’homme qui m’a recueilli, il ne demande rien en retour. Il subvient à nos besoins. Il part tôt le matin, revient avec du gibier, me demande si je vais bien, fait du feu, cuisine, tiens à ce que je me repose. Il ne veut pas d’aide.
– J’ai entendu parler de lui. Il est certes différent, mais vous pouvez lui faire confiance.
– Vous avez entendu parlé de lui ? Vous dites que vous venez de très loin. Seriez vous aussi une menteuse ?
– Votre mari a été élevé par une famille adoptive qui l’a trouvé bébé.
– Comment savez-vous ça ?
– Je vous l’ai dit, j’en ai entendu parlé.
– Vous pratiquez la sorcellerie ?
– Quoi ? Non, bien sûr que non.
Lui si. Tout le monde lui obéit. Quand il dit quelque chose, les gens s’exécutent… Et ce n’est pas mon mari.
Lucia connaît le pouvoir des Frigellyens sur les humains. Elle réfléchit un isntant avant de répondre.
– En fait, vous avez raison, je suis une menteuse. Je viens du même endroit que lui et comme lui j’ai des dons. C’est pour cela que je connais son histoire. Et je peux vous dire, s’il ne l’a déjà fait, qu’il va vous demander en mariage et qu’il adoptera le bébé.
– Pourquoi ferait-il ça ?
– Parce qu’il pense que tout le monde a le droit à un nouveau départ. Il veut pour vous la vie calme que vous n’avez pas eue jusqu’ici. Il veut que vous n’ayez plus peur, que vous n’ayez plus besoin de vous protéger des autres. Il veut que votre enfant grandisse au milieu d’un foyer aimant, comme c’est arrivé pour lui. Il fera tout pour vous construire une vie paisible.
Lucia frissonne en prononçant ces paroles, sachant la fin tragique de sa mère, morte en cherchant à protéger son mari.
– J’ai la certitude que cet homme donnerait sa vie pour moi, et je ne sais pas pourquoi, lui répond Helena.
– Il était seul avant votre arrivée. Vous lui avez donné une raison de vivre.
Pour la première fois, Helena se radoucit.
– Vous croyez ?
– J’en ai la certitude.
– J’espère qu’il traitera bien mon fils.
– Votre fils ?
– Oui, je n’ai pas votre don, mais je suis sûre que le petit qui grandit dans mon ventre est un fils, et il sera le portrait de son père, répond Helena avec émotion. Je l’appellerai Lucius, comme lui.
– Il traitera bien votre enfant, et le considèrera comme le sien. Je peux vous l’assurer.
– J’ai tellement envie de vous croire.
– Alors croyez-moi.
Helena la regarde intensément.
– Vous êtes une envoyée des Dieux !
– Comment ?
– Plus je vous regarde et plus je trouve des morceaux de lui en vous.
– Quoi ?
– Vous lui ressemblez, au père de mon enfant. Votre visage, il m’avait marqué mais je n’arrivais pas à savoir pourquoi. Je vois maintenant. Vous avez ses yeux et sa bouche.
– Je…
– Venez dans mes bras. Helena laisse tomber son panier et serre Lucia dans ses bras.
Lucia s’abandonne totalement dans les bras de sa mère et fond en larmes.
– Mais que vous arrive-t-il ?
– Je… Je ne savais pas que je lui ressemblais…
– Alors vous connaissez aussi mon défunt mari ?
– Non, j’en ai juste entendu parlé.
Les deux femmes entendent un craquement. Ça vient du bosquet. Lucia comprend qu’Élisa est de retour.
– Restez ici, je vais voir ce que c’est, lui dit-elle.
Lucia enlace sa mère une dernière fois et l’embrasse sur la joue avant de se sauver en courant, laissant Helena bouche-bée.
Elle s’assied sur le siège libre du transporteur :
– On sen va, dit-elle sur le ton de l’urgence.

Et Élisa entre les coordonnées de l’appartement. Lorsqu’elles s’y matérialisent, Élisa remarque les larmes qui n’ont pas encore séché sur le visage de Lucia.
– Qu’est-ce qui s’est passé en mon absence ? demande-t-elle.
– Ma mère m’a appris que je ressemble à mon père. Elle m’a prise pour une envoyée des Dieux.
– Vous étiez dans les bras l’une de l’autre…
– Je ne m’y attendais pas non plus, crois moi. Notre conversation avait commencé de manière désastreuse. Il y avait tant de mépris dans sa voix.
– Qu’est-ce qui l’a fait changer ?
– Je lui ai menti, je me suis fait passée pour une prophétesse. Elle a fini par m’écouter. J’ai un peu honte, mais c’est à ce moment là qu’elle a cessé de me rejeter. Élisa, je voudrais savoir à quoi ressemble mon père.
– Lucia, il ne devait pas y avoir de contact, et même si Helena est censée t’avoir oublié, ta rencontre a d’une manière ou d’une autre marqué son esprit.
– Peut-être que ça l’a aidé à accepter la proposition de papa. Elle le trouvait bizarre lorsqu’ils se sont rencontrés.
– Est-ce qu’un portrait de ton père te satisferait ?
– Et comment je pourrais avoir un portrait de lui ?
– Moi, je vais te le faire…
– Si tu vas le voir, pourquoi je ne viendrai pas avec toi ?
– Je vais aller le chercher sans corps, j’ai besoin d’être rapide, j’y vais seule. On repasse à coté, j’ai besoin d’une pilule.
– Je…
– C’est sans discussion possible.
Lucia suit Élisa à travers l’appartement. Elles passent la porte de communication et se rendent jusqu’à la porte du salon. Élisa frappe.
– Entrez donc, fait la voix de Paul.
– Paul, j’ai besoin d’une pilule de voyage.
– 12h ?
– Je n’ai pas l’intention d’en faire autant.
– Je n’ai pas moins.
– Je sais.
– Sylvestre n’est pas là ? s’enquiert Lucia.
– Il est reparti dans son atelier, répond Paul.
– Je peux aller le voir ?
– Sylvestre est toujours ravi de présenter ses œuvres, dit Paul.
Lucia s’éclipse du salon.
– Tu vas sur Dalygaran ?
– Non, je reste sur Terre, je vais explorer le passé d’Helena pour trouver son mari et en faire son portrait.
– Un voyage sans corps ?
– Exactement… Quoi ?
– Tu n’as rien à me dire ?
– Comme « on est allé voir Helena, sa mère » ?
– Quoi ?
– Elle y tenait. J’ai voulu lui faire plaisir, sauf qu’Helena nous est littéralement tombées dessus. Elle cherchait des champignons dans le bosquet dans lequel on était postée pour surveiller la maison.
– Il y a eu un contact direct ?
– On ne peut plus direct. J’ai du partir en catastrophe pour ne pas qu’Helena voit mon visage, vu qu’on se reverra le jour de sa mort et je les ai retrouvée dans les bras l’une de l’autre.
Paul soupire.
– On ne saura jamais les conséquences qu’ont eu cette rencontre sur le destin d’Helena.
– Lucia pense que ça a aidé sa mère à accepter la proposition de Christophe de l’épouser et adopter l’enfant.
– Ce rapprochement a causé sa perte… souligne Paul.
– Ne dis jamais ça devant Lucia, lui répond Élisa.
– Je ne suis pas stupide, quand même s’indigne Paul.
– Excuse moi, je suis injuste. En fait, je suis très contrariée. Je sais que je n’aurais pas du l’amener là-bas, au bout du compte tout ça est ma faute…
– Élisa, tu ne sauras jamais si la vie d’Helena aurait été beaucoup plus longue si vous n’aviez pas fait cette rencontre. C ‘était une époque où les gens ne vivaient pas vieux. Par contre tu as la certitude d’avoir rendu un fils à sa famille. Quant à Lucia, elle a déjà vécu longtemps comparativement aux autres humains, et ici, elle n’est qu’une jeune femme de 25 ans.
– Ce n’est pas forcément la vie qu’elle aurait choisie.
– On ne saura jamais ce qu’elle aurait choisi.
– Tu as raison.
– Tu veux toujours aller chercher le père ?
– Oui, j’ai promis de lui dessiner son visage.
– D’accord, j’arrive avec la pilule. Va t’allonger à coté de David.
– J’y vais.
Lorsqu’Élisa arrive dans la salle où le Commandant est allongé, elle ne peut s’empêcher de lui caresser le visage, alors qu’une larme coule le long de sa joue.
– David, j’ai fait une bêtise, murmure-t-elle.
– Ne pense plus à ça dit Paul qui vient d’arriver avec la pilule et un verre d’eau à la main.

Élisa soupire profondément, s’allonge et prend la pilule. Elle meure d’envie d’aller rejoindre son compagnon et se jeter dans ses bras. Mais son corps de voyage n’est pas disponible, elle ne serait qu’un esprit incongru dans un monde où il est mal vu de venir sans corps. Lorsque son esprit se libère, elle s’en va directement dans le passé en Mésopotamie, et méthodiquement, suit Helena de mois en mois à rebrousse temps, puis lorsqu’elle la perd, elle revient en arrière, et la suit au jour le jour en mode accéléré. Elle la voit être chassée de son village, et enfin elle arrive au jour où son mari l’embrasse pour la dernière fois avant de succomber. « Heureusement que Lucia ne voit pas ça » se dit-elle. « C’est déchirant. ». Elle est frappée par la ressemblance de Lucia avec l’homme qui ne verra jamais son enfant. Elle remonte encore un peu dans le temps pour le voir en bonne santé. Elle imprime son image dans sa tête et revient dans son corps immédiatement. L’opération aura duré en tout un peu plus d’une heure. David n’est plus à ses cotés lorsqu’elle ouvre les yeux. Elle se lève en silence et se rend directement dans l’atelier de Sylvestre, où il n’y a plus personne, mais du papier et des pastels.
Elle dessine le visage du père de Lucia et à coté de lui, Lucia elle même. Elle laisse son instinct la guider et elle dessine pratiquement aussi rapidement qu’en corps de voyage. En un quart d’heure, elle a terminé et s’en va avec sa feuille au salon où elle trouve tout le monde réuni. Elle est encore dans une sorte de transe, comme si elle n’était pas vraiment revenue du passé. Elle tend le dessin à Lucia, puis se tourne vers son compagnon et s’écroule dans ses bras.
Lorsqu’elle revient à elle, elle est allongée sur un des canapés du salon et tout le monde est autour d’elle. Le Commandant lui sourit.
– Tu es encore allée au bout de tes forces Élisa, tu dois apprendre à te ménager.
– Je…
– Chhhhht, si tu continues à utiliser tes dons à leur maximum, tu t’écrouleras à nouveau. Repose toi.
Élisa peut voir Sylvestre qui porte le portrait qu’elle a fait pour Lucia de son père. Il articule silencieusement le mot « bravo ! ». Élisa ressent toujours la fatigue, mais néanmoins cherche à s’assoir. Le Commandant vient l’aider et s’assoit à coté d’elle. Elle appuie sa tête sur son épaule et s’endort quasi instantanément. Le Commandant lui caresse doucement les cheveux.
– L’heure du repas approche, elle aura une faim de loup lorsqu’elle va se réveiller dit Paul.
– C’est vrai, répond le Commandant en souriant.
– Je vais aller préparer quelque chose, propose Sylvestre.
– Je viens t’aider dit Lucia aussitôt.
– Ces deux-là se tutoient déjà remarque le Commandant.
– Lucia a l’air d’apprécier vraiment Sylvestre, renchérit Paul.
Le Commandant sourit à nouveau.
– David, je pense qu’Élisa se sent terriblement coupable vis à vis d’Helena. Si elle s’est dépensée sans compter, c’est sans aucun doute à cause de cela.
– Je lui parlerai Paul. Notre lien nous permet de partager nos sensations. Je l’aiderai du mieux que je le peux. Les voyages dans le temps sont nouveaux pour elle. Et moi aussi j’ai quelque chose à lui raconter dont je ne suis pas spécialement fier.
– Vraiment.
Et le Commandant se met à raconter à Paul sa journée avec Tout Premier Rayon de l’Anneau d’Or. Tout du moins la partie où il manigance pour lui faire accepter le Commandement en Chef.
– J’ai un peu honte de moi tout de même, conclue-t-il.
– Laissez donc votre partie humaine s’occuper de cela, vous verrez, ça ne durera pas longtemps.
– Ça ne marche pas comme ça.
– David, vous avez fait ce qu’il fallait. Continuer à être Commandant en Chef de l’armée Dalygarienne n’avait pas de sens par rapport à la vie que vous menez maintenant.
– Je le sais.
– Vous avez choisi la voie rapide. Élisa et vous, vous n’êtes pas ensembles par hasard finalement. Elle vous épaulera pour comprendre votre humanité.
Le Commandant sourit. Il n’a jamais cessé de caresser machinalement les cheveux de sa compagne qui finit par ouvrir les yeux. Il l’embrasse tendrement sur le front.
– Tu t’es assoupie quelques minutes. Même pour récupérer tu es rapide. Sylvestre et Lucia sont partis préparer le repas. Tu as faim ?
– Un peu. David, qui est « Tout Premier Rayon de l’Anneau d’Or » ? J’ai ce nom qui me trotte dans la tête. C’est Dalygarien…
– Tu as du nous entendre Paul et moi dans ton sommeil. Je te raconte ça en tête à tête après le repas, tu veux bien ?
– D’accord.
– Dans ce cas, dit Paul, tous à la cuisine. Nous allons voir ce que Sylvestre nous a concocté.
– Allons-y ! dit le Commandant.

Annie

2 commentaires

  1. Bonjour Annie
    Je crois savoir pourquoi Sylvestre ne vient plus sur Frigellya, mais j’attendrais la suite pour voir si j’ai raison. Par contre est-ce que je me trompe en pensant que Sylvestre et Lucida ont à peu prés le même age ? (Si j’ai bien compris, les presque-humains vieillissent plus lentement et Lucida a vu son vieillissement ralenti par les Frigellyen)

    • Bonjour Cyrille,
      Oui, Lucia et Sylvestre ont à peu près le même âge physiologique : lui presqu’humain de 30 ans dont le développement physique a été ralenti pour se resynchroniser avec celui des humains vers 50 ans, et Lucia, qui a déjà vécu longtemps à l’échelle terrestre (dans les 50 ans), et qui depuis l’arrêt de son traitement Frigellyen a la physiologie d’une jeune femme de 20 – 25 ans.
      Notre Sylvestre comprendra pourquoi il n’est plus venu sur Frigellya peut-être à la fin du chapitre 13, et surement au chapitre 14. N’oublions pas qu’il est un peu « lent » à la détente 🙂

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