4

Chapitre 14 – Les amis d’Élisa

La plupart de ce que savait le Commandant à propos de la société Terrienne, il l’avait appris les tous premiers jours de son arrivée sur la planète. Maintenant qu’il allait rencontrer les amis d’Élisa, il ressassait tout cela dans sa tête encore et encore. Ce qu’il savait du 25e siècle, c’était que les humains étaient classés en 5 groupes distincts à l’âge adulte. Enfants, les humains étaient de niveau 0.

Le niveau 1 était le minimum auquel un adulte pouvait prétendre, ce qui lui donnait droit à un endroit pour vivre, une couverture santé, une éducation supérieure s’il le souhaitait, et une carte à vivre pour ses dépenses quotidiennes. Cependant, peu d’humains se contentaient du niveau 1. Avec un niveau 2, on avait plus de crédits à dépenser sur sa carte à vivre et on pouvait choisir son appartement dans de meilleurs quartiers. Le niveau 3 était réservé à ceux qui se consacraient à la transmission d’un savoir. Le niveau 4 était celui des sciences et de l’ingénierie. Enfin, le niveau 5 représentait le niveau organisationnel, qui recouvrait, la sécurité, la justice, ainsi que la gestion alimentaire et énergétique. Il n’y avait pas grandes différences dans le train de vie entre les gens de niveau 2 et les gens de niveau 5, mais plutôt des sessions de formation différentes, en fonction de leur projet de vie.

Quoi qu’il en soit, le niveau 5 était celui que le Commandant avait le plus de mal à comprendre : tous des métiers à responsabilité, mais pour une période relativement courte. Personne ne pouvait rester plus de 10 ans à travailler à la sécurité — ce qui consistait le plus souvent en l’organisation d’opérations d’urgence au moment de catastrophes — ou à la justice. Pour ceux qui occupaient des postes en gestion des aliments et de l’énergie, les missions étaient réduites à cinq ans. Élisa avait essayé de lui expliquer que ces domaines étaient ceux où l’innovation, les nouvelles idées étaient très importantes et ne pouvaient donc pas reposer très longtemps sur un seul groupe de personnes. Les gens qui avaient servi au niveau 5 retournaient naturellement au niveau 3 pour transmettre leurs connaissances aux nouveaux aspirants ou alors au niveau 4 dans le développement de technologies.
Il y avait deux façons d’obtenir un niveau, soit de postuler à un besoin exprimé au niveau de son district, soit de déposer un projet de vie. C’est ce que le Commandant avait fait, pour son activité de maître d’armes, qui considéré comme un enseignement, lui donnerait accès à un niveau 3. Pour son passé militaire, Paul et Sylvestre lui avaient obtenu une identité de niveau 4 (un niveau 5 aurait été bien plus compliqué), car il était supposé non seulement être un pilote d’essai, mais il participait aussi à l’amélioration technique des machines qu’il testait.
Élisa, en tant qu’illustratrice de livre, était enregistrée comme niveau 2. Elle avait dit au Commandant que tous ses amis étaient aussi des niveaux 2.

Le Commandant avait été désolé d’apprendre que la Terre souffrait de perturbations climatiques dues au comportement passé et irréfléchi de la race humaine, et que la génération d’Élisa n’était que la deuxième après la Grande Épidémie. Comme sur Dalygaran, une maladie mortelle s’était propagée dans tous les pays et avait provoqué une brusque diminution de la population mondiale. Les survivants avaient choisi de reconstruire une société basée sur le partage. Ce n’était pas si différent de ce qui se pratiquait sur Dalygaran finalement, se disait le Commandant, même si chez lui personne n’avait de carte à vivre, tout pouvait être échangé, et ainsi personne ne manquait de rien d’essentiel.

Le Commandant était très intéressé de vivre dans un monde alpha qu’il voyait en pleine évolution. Il pensait que l’humanité était en train de prendre le chemin vers son niveau bêta. Il avait analysé tant de sociétés avant, et il sentait qu’il était là à un tournant historique de l’histoire de l’humanité. Mais ces derniers temps, l’esprit du Commandant n’était pas à l’histoire ou à l’analyse : il était anxieux et impatient de rencontrer les amis de sa compagne.
Lui, le militaire qui avait travaillé tant de fois sous couverture sans aucune hésitation, s’inquiétait de faire bonne impression. C’était le début de sa vie sociale et il ne voulait pas le louper. Dès qu’il avait su la date de la rencontre, il avait bombardé
Élisa avec des tonnes de questions, au sujet de la Terre, des jeunes gens, de la société et du comportement en général des humains. Il voulait en savoir toujours plus et il était insatiable. Comprenant ce qu’il ressentait, Élisa lui avait expliqué que c’était une mission comme une autre, qu’il n’avait aucune raison d’échouer. « Prend — le comme ça » lui avait-elle dit. « Tu es sous couverture sur Terre, rien d’insurmontable pour le Commandant Cristal de Lune ». Le Commandant savait qu’elle avait raison, mais c’était la première fois qu’il était si personnellement impliqué, et ce genre de première entamait quelque peu son assurance.

Quoi qu’il en soit, c’est avec tout ce qu’il avait emmagasiné comme connaissances sur la Terre et l’histoire qu’ils avaient mise au point ensemble à leur sujet, que le Commandant s’en va avec Élisa pour sa première rencontre avec ses amis à elle.
Quand ils arrivent au café le Clair de Lune, ils ne sont pas les premiers.

Le Clair de Lune
Assis à une table ronde avec trois autres personnes, un jeune homme hèle Élisa en levant sa main bien haut pour qu’elle puisse les repérer facilement.
– Eh, Élisa, ça fait un bail. Tu as quasiment disparu pendant une année et puis tu nous apprends que tu as rencontré l’homme de ta vie. Tu as gagné à la loterie de l’amour cette fois-ci ? Tu passes ton temps à gagner à la loterie on dirait, plaisante le jeune homme en les accueillant.
– Euh oui Thomas. Bonjour tout le monde. Je vous présente David. Et voici Lucia, elle vit avec nous pour le moment.
– Bonjour David, bonjour Lucia. Vraiment très content de rencontrer le fiancé d’Élisa et euh…
– Lucia est ma cousine, dit le Commandant.
– Une cousine éloignée, précise Lucia.
– Oui, éloignée, confirme Élisa.
– D’accord, répond Thomas. Bienvenue tout le monde. C’est plus simple comme ça non ? Allez, je vous présente les autres. Voici Rose, et là c’est Patrick et Sarah, et celle qui vient juste d’arriver à l’instant, c’est Émilie.
Rose, Patrick et Sarah font un signe de la tête et sourient.
– Bonjour, dit le Commandant.
– Bonjour, dit Lucia.
– Bonjour tout le monde, dit Émilie. Très contente de vous rencontrer tous. Ça fait longtemps qu’on ne s’est vu, hein Élisa. Euh, Suzanne et William vont être un peu en retard.
Elle fait une petite pause avant demander :
– Jonas n’est pas arrivé ?
Élisa fait non de la tête et de nouveau présente David et Lucia.
– Asseyons nous, propose Élisa.
– Alors c’est quoi cette grande nouvelle que tu as à nous apprendre ? demande Rose. Ça a certainement à voir avec cet homme charmant qui t’accompagne. Tu nous as dit dans ton message qu’il était ton fiancé… la taquine-t-elle en pointant le Commandant du menton.
– Peut-être devrions-nous attendre les autres, répond Élisa avec malice.
A ce moment-là, le serveur approche. Pierre lui dit qu’ils attendent encore d’autres personnes, et le serveur s’en va.
– Suzanne et William ne savent pas vraiment quand ils vont pouvoir être là. Ils m’ont dit qu’ils seraient entre 30 à 40 mn en retard, ajoute Émilie. On ne va tout de même pas attendre aussi longtemps pour savoir. À moins que tu aies décidé de nous torturer ? Eh, voici Jonas.
Et à nouveau, Élisa fait les présentations. Lorsqu’elle a fini, tous les regards se tournent vers elle.
– Ok, ok, je vais vous le dire. David et moi, on va se marier.
– Ouah ! Élisa Martin va se marier. Qui aurait cru ça il y a un an ? la taquine Jonas.
– Tu sais David, tu es un petit veinard, renchérit Thomas. Avant, elle ne pensait qu’aux étoiles et aux planètes. Les voyages dans l’espace étaient son obsession. Elle essayait toujours de nous trainer dans ce musée…
La Commandant éclate de rire avant de proposer :
– Le musée du voyage spatial ?
– Oui, celui-là même, confirme Thomas.
– On s’est rencontré là-bas, affirme le Commandant.
– Oui, l’année dernière, quand j’ai commencé mes voyages dans l’espace, ajoute Élisa.
– Mais tu as arrêté ces voyages, non ? demande William.
David, Élisa et Lucia se regardent, alors même que les autres les observent tous les trois.
– Euh, oui. J’ai été contaminée pendant un de mes voyages, quelque chose dans le gaz, après ça j’ai arrêté.
– Ouah, c’est flippant. Vous communiquez mentalement tous les trois ? Le regard que vous vous êtes lancé avant qu’Élisa ne réponde, c’était trop bizarre, comme si vous saviez quelque chose qu’on ne sait pas, lance Thomas en plaisantant.
– Ne dis donc pas de bêtise, répond immédiatement Élisa. On habite juste sous le même toi. C’est tout.
Et elle se met à ricaner, en espérant que ses amis n’entendront pas qu’il s’agit plutôt d’un rire jaune.

– Oh, regardez ce qui nous arrive, murmure Rose. Il est vachement craquant. Il vient vers nous ?
Lucia se tourne pour voir de qui il s’agit, puis fusille brièvement Rose du regard.
Jonas murmure dans l’oreille de cette dernière de manière à ce qu’elle seule puisse entendre : « chasse gardée ».
Sylvestre s’approche et se plante juste derrière Lucia.
– Voici Sylvestre, annonce Élisa.
Les autres accueillent Sylvestre avec des « bonjour » et des « salut ». Sylvestre se contente de répondre par un geste de la tête et dit :
– Lucia, j’ai quelque chose à te dire. S’il te plait, viens avec moi dehors.
Et il lui tend la main. Lucia se tourne pour le regarder. Il lui sourit, sa main attendant la sienne dans les airs. Son regard la supplie d’accepter. Elle met finalement sa main dans la sienne, se lève et ils sortent ainsi tous deux du café.
– Ben ça alors, il ne nous a quasi pas vu. Quel couple adorable ils font. Ils vont se marier eux aussi ?
– Quoi ? Non ! répond Élisa sans réfléchir.
Lorsqu’elle se rend compte du regard étonné de ses amis, elle ajoute :
– Euh, enfin, je ne sais pas.
– Je ne serais pas étonné que ces deux-là un jour… commence le Commandant.
– Vraiment, répond Élisa. Si tôt ?
– Rappelle-nous, c’est la cousine de qui ? la taquine Pierre.
– Depuis que je la connais, elle est comme la petite sœur que je n’ai pas eue, s’excuse Élisa.
– Eh, on parlait de mariage, leur rappelle Émilie. Alors vous avez déjà la date ?
– Nous savons que ce sera dans à peu près trois mois. On est en train de s’occuper de la partie administrative en ce moment. Comme un mariage nécessite la présence d’un représentant du district pour être célébré et validé, ça ne dépend pas vraiment de nous. On attend une réponse. Dès qu’on a la date définitive, on vous prévient. Vous êtes tous invités. Rose, comme on se connaît depuis l’enfance, j’ai pensé que tu pourrais être mon témoin.
– Avec grand plaisir, répond cette dernière radieuse.
– Et toi David, tu as déjà ton témoin ? s’enquiert Thomas.
– Oui, Sylvestre.
– Le Sylvestre qu’on vient de voir ?
– Oui, ce Sylvestre-là. Je n’en connais d’ailleurs pas d’autres, répond-il en souriant.
– Alors vous deux, racontez-nous un peu comment tout cela a commencé, suggère Pierre.
Élisa et le Commandant commencent leur histoire. Ils parlent l’un après l’autre, donnant chacun des détails, mais si rapidement, que tout le monde doit être très attentif pour les suivre.
– Eh, vous deux, c’est comme si vous n’étiez qu’un. C’est bluffant, souligne Rose. Vous m’avez presque fait tourner la tête à parler si vite. Oh, j’espère qu’un jour je pourrais être aussi proche de quelqu’un. Je vous envie, vous savez…
Élisa et le Commandant sourient. Ils n’ont pas prêté attention à la vitesse à laquelle ils ont raconté leur histoire. Rose a raison. C’était comme s’ils n’avaient fait qu’un. Il faudrait qu’ils fassent attention à l’avenir, se dit le Commandant, doutant que ce soit très humain.

Tandis que le groupe de jeunes gens continue de bavarder joyeusement le Commandant annonce :
– Dans dix jours, j’ouvre une salle de combat.
– C’est un grand Maître d’armes, dit Élisa avec enthousiasme.
– Tu as appris à te battre ?
– Oui Rose. Il enseigne quelque chose de très spécial. J’adore vraiment ça.
– Et elle apprend vite, ajoute le Commandant fièrement. Ça dirait à quelqu’un d’essayer ?
– Pourquoi pas, répond Pierre.
– Personne d’autre ?
– Est-ce qu’on peut venir juste pour regarder ? Ça m’intrigue maintenant que je sais qu’Élisa adore ça, dit Rose.
– Chacun est bienvenu pour essayer ou regarder. C’est vous qui voyez.
– Super. J’y serais, annonce Pierre. Mais ce sera où au juste ?
– Je vous enverrai tous les détails, répond Élisa. À vous tous. Vous ferez comme vous aurez envie.
– Eh, voici Suzanne et William, plus tôt que prévu, dit Thomas.
Et c’est pour Élisa et le Commandant, une autre occasion pour saluer, raconter leur histoire et répondre à des tas d’autres questions.
– Et tu viens d’où David, demande finalement Suzanne.
– Voyons si vous pouvez deviner, les taquine-t-il. Je viens d’un endroit très boisé, avec peu d’habitants.
– Tu as travaillé comme militaire, à ce que j’ai compris, dit William.
– Oui, c’est exact.
– Dans un endroit très boisé ?
– Oui, c’est ce que j’ai dit.
– Avec des cascades et des lacs ?
– Et des étangs.
– Le Vieux Canada. J’en suis sûre. Il y a une base militaire là-bas et ils travaillent sur les voyages spatiaux d’ailleurs.
– Oui, le Vieux Canada, c’est ça. Mais je crains ne pouvoir en dire plus.
– Il n’y a pas soucis. Si tu as failli mourir là-bas, ce ne sont pas des souvenirs à trop remuer de toute manière.
– Je suis d’accord.

Lorsque le serveur revient, cette fois le groupe est prêt à commander.
– Des Étoiles Blanches pour tout le monde ? demande joyeusement William.
– Euh, non, répond Élisa.
– Quoi ? Tu es enceinte ? demande Rose, un large sourire sur les lèvres.
– Quoi ? Non ! Enfin pas autant que je sache… bafouille Élisa.
– Non, c’est pour moi. Je ne bois pas de bière, avoue le Commandant.
– La seule boisson alcoolisée qu’il aime, c’est le cidre doux, précise Élisa.
– Je n’ai pas l’habitude de l’alcool. Il n’y en avait pas là où je vivais, ajoute le Commandant.
– Ouah. Même après le travail, tu ne buvais pas un petit peu ? s’étonne William.
– Je peux dire que mon travail était beaucoup basé sur le contrôle mental. Donc pas d’alcool du tout. Et comme je n’y suis pas habitué, il y a peu de boissons alcoolisées que j’aime.
– D’accord, alors disons 10 Étoiles Blanches et un cidre doux s’il vous plait, annonce William.
Quand le serveur revient, il pose un verre devant chacun d’entre eux. Le prix apparaît sur l’écran de paiement, tout autour de la table.
– C’est pour moi cette fois. Je suis niveau 3 depuis la semaine dernière. J’ai rejoint un centre d’enseignement, annonce Émilie.
Tout le monde la félicite joyeusement. Après que le paiement ait été effectué, le Commandant demande :
– Et tu enseignes quoi ?
– À peu près tout, répond Émilie. Ma compétence particulière est la pédagogie scientifique et la vulgarisation. Je collabore avec les chercheurs et les ingénieurs pour rendre leur travail compréhensible par le plus grand nombre à travers des unités d’enseignements.
– Émilie, c’est la tête du groupe. Elle est capable de comprendre tant de choses, dit Jonas admiratif.
Émilie lui sourit. Élisa réalise pour la première fois les sentiments que ces deux-là se portent. C’est si évident avec ses capacités Dalygariennes. Elle est quasi-certaine qu’ils ne sont jamais sortis ensemble, cependant. Être humain, c’est parfois rester complètement aveugle, se dit-elle.
– La dernière fois que nous sommes venus ici, nous avons parlé de voyages spatiaux, lance William. Tu en penses quoi, toi David du voyage par l’esprit. Ce n’est pas un peu immoral de voir sans être vu ?
– C’est juste un commencement, répond le Commandant. Un jour, nous aurons la technologie pour voyager avec nos corps. Il ne sera plus nécessaire de voyager sans être vu.
– Tu es un sacré optimiste. Les voyages spatiaux souffrent des limites de la physique. L’esprit est le seul moyen pour aller très loin…
– Revoit un peu l’histoire de l’humanité. Il y a à peine un siècle, le voyage dans l’espace restait un rêve. L’humanité a pourtant essayé de construire des bases sur la lune et sur Mars, avant. Mais ça n’a pas duré, parce que ces mondes étaient morts. Puis le voyage par la pensée a été découvert, et ça a tout changé. Maintenant, les Hommes savent qu’il y a là-haut d’autres mondes, d’autres civilisations. Que va-t-il se passer lorsque l’humanité trouvera un moyen pour rencontrer ces civilisations ? Une nouvelle ère commencera !
– Oh David, tu es un grand rêveur.
– Oh non, pas moi — l’humanité. Si les humains n’avaient pas rêvé des étoiles, ils n’auraient jamais découvert le voyage par l’esprit. On découvre les choses parce qu’on les cherche. Il arrive parfois qu’on les découvre fortuitement, mais c’est parce qu’on était en train de chercher autre chose. Les humains sont d’insatiables curieux. Et si les autres civilisations l’étaient aussi ? Un jour, des secteurs entiers de l’univers pourront sans doute communiquer.
– T’es sérieux ? demande Pierre.
– Absolument, répond le Commandant avec un large sourire.
– Je veux croire que le futur sera comme il dit, annonce Élisa. Ne serait-ce pas merveilleux ?
– Imaginons que nous rencontrions de nouvelles civilisations, et s’ils étaient malveillants ? Et s’ils ne voulaient pas la paix mais conquérir notre monde ? s’inquiète Rose.
– Et si ces mondes voulaient partager ? Et si ces mondes voulaient apprendre ? répond le Commandant.
– Oh, tu es vraiment un incorrigible idéaliste, lui réplique Rose. Comment peux-tu espérer que ces civilisations soient pacifiques ?
– La maturité ? J’espère que c’est là où va toute civilisation, répond doucement le Commandant.
– J’espère que tu as raison, ajoute Pierre.
Durant cette conversation, Élisa se met à repenser à ce que lui avait dit le Commandant un jour. Selon lui, les gens découvrent comment voyager physiquement lorsqu’ils sont prêts. Et ils sont prêts, quand la domination et la compétition leur sortent de l’esprit en tant que valeur. La technologie nécessaire aux voyages à travers l’univers demande un énorme effort de coopération entre bien des disciplines. Les mondes conquérants ne peuvent atteindre ce niveau, car leur modèle, basé sur la compétition les emmène dans une impasse. Mais tout cela, il ne pouvait l’expliquer aujourd’hui à ses amis.
– Eh bien ce n’est pas demain la veille que l’humanité atteint la maturité, soupire Rose.
– Nos boissons vont se réchauffer si nous attendons trop longtemps. À votre santé, dit Élisa.
– Santé, répond tout le monde.

Pendant ce temps, dans le parc, Sylvestre et Lucia, main dans la main…
– Sylvestre, tu as dit que tu voulais me parler et depuis qu’on a quitté le café, tu ne dis rien.
Sylvestre s’arrête de marcher, et fait face à Lucia sans lui lâcher la main. Dans un souffle, il lui dit :
– Je t’aime.
Et, la tenant toujours par la main, il se remet à marcher. Lucia lui tire sur le bras pour le faire arrêter.
– Tu viens de dire quoi, là ?
– Lucia, il faut que je trouve de quoi m’asseoir. Mes jambes sont en coton, et j’ai des vertiges. Je t’en prie…
Lucia s’affole soudain, et cherche du regard tout autour d’eux.
– Il y a un banc vide là-bas. Allons-y.
Dès qu’ils sont assis, Lucia demande :
– Sylvestre, que t’arrive-t-il ? Tu es si pâle.
– Les émotions. Je ne suis pas habitué à autant d’émotions. Devenir humain si brutalement m’a rendu malade. Je suis désolé. Je suis terriblement désolé. Quand je te vois, j’ai la sensation d’affronter une tempête. Mon cœur se met à battre si fort. J’ai besoin d’apprendre à apprivoiser tout ça, je…
– Chhh, Sylvestre, calme-toi. Paul m’a raconté un peu ce que cela voulait dire d’être un presque humain. Je sais que l’amour, c’était quelque chose que vous ne pouviez ressentir avant d’être opérés, que les presque-humains ne pouvaient avoir de vie sexuelle, et…
– Choux de Bruxelles, marmonne Sylvestre.
– Quoi ?
Sylvestre ne répond pas. Il ferme juste ses yeux pendant ce que Lucia perçoit comme étant une éternité. Lorsqu’il les ouvre à nouveau, il lui sourit et lui dit calmement :
– Toutes mes excuses pour m’être enfui tout à l’heure à mon retour de Frigellya.
– Ne t’excuse pas. Tout ça, c’est ma faute. Je n’aurai pas dû me jeter comme ça dans tes bras. C’était si infantile…
– C’était adorable…
Sylvestre et Lucia se taisent, se regardant intensément, leur visage se penchant irrésistiblement l’un vers l’autre. Ils s’embrassent doucement, mais brièvement.
– Sylvestre, tu trembles.
– Ce n’est pas grave si c’est toi qui me fais frissonner, lui répond-il en essayant de sourire.
Lucia secoue la tête.
– Sylvestre, ces émotions, elles ne doivent pas te faire du mal. Tu n’as pas besoin de souffrir. Nous irons à ton rythme. On n’est pas pressé de toute manière. Tu décides de jusqu’où on peut aller. Si on doit juste se tenir la main, on se tiendra juste la main. Il n’y a aucun souci. Petit à petit, nous allons apprendre à nous connaître.
– Je ne sais pas combien de temps cela va…
– Ça n’a pas d’importance. Je t’aime Sylvestre et je peux attendre.
Et les deux amoureux restent assis un moment tête contre tête, les yeux fermés, jusqu’à ce que Sylvestre passe son bras autour de la taille de Lucia, pour qu’elle s’assoie plus près de lui. Elle pose sa tête sur son épaule. Ils restent ainsi silencieux un long moment, attentifs à leurs propres battements de cœurs, jusqu’à ce que Lucia reprenne la parole :
– Tu sais Sylvestre, je dois t’avouer que je n’étais pas capable d’avoir ce type de sentiments sur Frigellya moi non plus. Je ne sais pas si c’est parce que j’étais comme une « presque-Frigellyenne », vivant juste à leur rythme, sans vraiment être une des leurs, mais les garçons là-bas, me laissaient indifférente. Et de toute manière, à chaque fois que l’un d’entre eux me montrait de l’intérêt, c’était la princesse venue de la Terre, qu’il voyait. J’ai toujours eu la sensation de n’être pour eux qu’un…
– Trophée ?
– Oui, c’est exactement ça. Le jour où je suis arrivée sur Terre, tu as été le premier visage que j’ai vu, et mon cœur s’est immédiatement emballé. Tu as été si gentil avec moi.
– Tu avais l’air si perdue…
– Pour moi, ça a été le coup de foudre. Je n’avais jamais eu de sentiments aussi forts avant…
– Je n’ai pas été capable de ressentir ça. Mais tu sais, déjà en tant que presque-humain j’appréciais d’être avec toi. J’aimais bien te voir tous les jours, discuter avec toi, faire la cuisine avec toi, jouer aux échecs avec toi. Je ne me suis pas vraiment posé de questions à ce sujet. Ça me semblait si naturel. Aujourd’hui, en tant qu’humain, je sais que ces moments sont ceux qui comptent vraiment. J’aime être avec toi. Et je voudrais que ça dure toujours…
– Nous sommes au début de notre histoire, répond Lucia en souriant. J’espère aussi que ce sera une très longue et merveilleuse histoire.
– Tu sais, le jour où je suis allée avec Paul à l’inauguration de l’espace Terro-Dalygarien sur Frigellya, j’ai eu aussi la sensation d’être une sorte de trophée, parce que j’étais Terrien. Mais j’ai pourtant apprécié la soirée et tu sais pourquoi ?
– Non, assurément.
– Parce que j’ai appris à danser et j’ai découvert que j’adorais ça. La prochaine fois, je ne veux que toi, comme partenaire.
– La prochaine fois ?
– Le mariage d’Élisa et de David voyons ! Tu viendras avec moi ?
– Mais Sylvestre, je ne peux pas. Je serai déjà là. Enfin pas moi, l’enfant… Et mes parents aussi seront là.
– Personne ne te reconnaitra…
– Tu es adorable, mais…
– Je n’irai pas sans toi, s’entête Sylvestre
– Tu es le témoin de David, tu dois y aller.
– Je n’irai pas sans toi. On trouvera une solution. On trouve toujours une solution. On sera ensemble ce jour-là.
Lucia finit par sourire.
– Je t’accompagnerai avec grand plaisir, mais demandons d’abord leur avis aux futurs mariés. On est d’accord ?
– On est d’accord !

Front contre front, ils se sourient l’un à l’autre. Lorsque leurs visages s’éloignent, Sylvestre met une main sur la joue de Lucia. Il est obligé de la retirer rapidement, dès que ça devient moins plaisant pour lui.
– On surmontera cela ensemble, lui murmure Lucia, alors qu’elle le sent un peu embarrassé. Ne t’inquiète pas… Est-ce qu’on rejoint les autres au café maintenant ?
– Je préférerais rentrer à la maison. Et toi ?
– Eh bien rentrons. J’envoie un message à Élisa pour la prévenir.
Lucia sort son téléphone de sa poche et envoie le message.
– On y va Sylve, lui dit-elle ensuite. Tu veux bien que je t’appelle Sylve ?
– Et je pourrai t’appeler Luce ou Lucie. J’adore « Lucie ».
– Mon frère et ma sœur m’appellent Sia.
– Oh, tu as un frère et une sœur ?
– Oui, papa et maman ont eu leurs propres enfants, d’authentiques petits Frigellyens. J’espère que tu pourras les rencontrer un jour. Ce sont des gamins très sympas et intelligents. Ils me manquent.
– Je comprends. Même si je ne sais pas vraiment ce que veut dire avoir une famille, je peux me l’imaginer.
– Peut-être pourrions-nous leur rendre visite ? Sylve, je pense que je peux te dire que tu es autorisé à aller sur toute la planète. Cette histoire de restriction à l’espace Terro-Dalygarien est finie depuis longtemps…
– Vraiment ?
– L’espace existe toujours, et personne ne va le fermer aussi longtemps que mes parents seront en vie. J’ai même la certitude qu’il leur survivra. Mais tu peux aller où tu veux sur Frigellya. C’est ce que Paul faisait. Enfin celui plus vieux que je connaissais avant de venir ici. Ça va arriver après le mariage d’Élisa et de David. En tant que nouvelle Reine, maman a demandé la révision de votre sentence. Vous avez été condamné à rester sur Terre, bien éloigné de votre époque. L’espace Terro-Dalygarien dans lequel vous êtes autorisés à vous rendre se situe sur une planète avec un autre temps et ce n’est pas de votre fait à Paul et à toi. Ne pas vous autoriser à sortir de cet espace c’est comme vous condamner à rester enfermés quelque part. Et ce n’était pas les termes ni l’esprit de la sentence. Alors elle a obtenu que vous puissiez vous rendre partout sur Frigellya, à n’importe qu’elle époque pour rencontrer les gens dont vous aviez fait la connaissance avant d’être condamnés, à cause de l’existence de cet espace Terro-Dalygarien.
– Eh bien dès que nous serons notifié de cette décision Paul et moi, nous irons ensemble voir ta famille. Je te le promets.
Il l’enlace doucement et brièvement, avant de prendre sa main et sortir du parc.

Annie

4 commentaires

  1. Bonjour Annie
    Juste pour te signaler une petite coquille franglaise, tu as écris « un jeune home hèle Élisa  »
    Sinon, bravo, continu continue comme cela.

    • Ya pas d’alcool sur Dalygaran, alors pour lui le découvrir à l’âge adulte c’est un peu hard. Il va sans doute évoluer… :p

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.