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Chapitre 5 – Le destin de Sylvestre

Sylvestre est assis, silencieux, dans son atelier, les yeux remplis de larmes. Il essaie de dessiner quelque chose, mais n’y arrive pas.
On frappe à la porte.
– Entrez, répond-il.
Lucia se glisse dans la pièce.
– Sylv, dit moi ce qui ne va pas, lui souffle-elle inquiète.– Oh Lucie, je ne sais plus qui tu es… Tu es triste, tu ne dis rien. C’est comme si tu étais ailleurs. C’est à toi de me dire ce qui ne va pas…
Et il lui envoie un de ces regards auxquels elle ne sait résister. Elle ne peut plus le laisser dans le noir plus longtemps. Elle doit lui confesser ce qui la ronge jour après jour ces derniers temps et pourquoi sa joie de vivre s’en est allée. Elle s’est battue aussi fort qu’elle a pu pour voir sa vie sur Terre de la manière la plus positive possible. Mais elle a définitivement le mal du pays. Comment allait-il réagir ?
– Sylv, je ne suis pas heureuse sur Terre. Ce n’est pas mon monde.
– Tu es pourtant une Terrienne…
– J’ai grandi dans un monde Delta, Sylv. Ici, tout est si primitif. Mis à part tes trucs Epsilons dans cet appartement… Je te promets, j’ai essayé. Mais ce n’est pas de cette manière que je veux vivre. En plus de ça, mes parents me manquent, mon frère et ma sœur me manquent. Ils me manquent tous tant.
– Tu m’as dit une fois que je pouvais aller partout sur votre planète maintenant, non ?
– Oui, tu n’es plus confiné au territoire Terro-Dalygarien.
– On peut aller voir ta famille quand tu le souhaites alors.
– Sylv… Je le fais déjà. Régulièrement.
– Quoi !?
– Quand tu t’enfermes ici pour dessiner l’après-midi entière, tu ne t’es jamais demandé ce que moi je faisais pendant ce temps ?
– Je pensais que tu étais avec Paul, Nelly et le petit Joshua. Quand j’ai terminé, je te trouve toujours avec eux…
– C’est vrai, tu as raison, mais je ne suis pas avec eux, pendant tout le temps que tu dessines… Je pars voir ma famille. Tu sais, quand je suis arrivée ici, j’étais perdue et effrayée parce que j’avais un choix important à faire : être transformée définitivement en Frigellyenne ou rester un être humain. Je n’étais pas prête à devenir Frigellyenne. Quelque chose me disait que je devais aller sur Terre. Et je n’ai pas de regrets. Je t’ai trouvé, Sylv. Et je t’aime. Je n’ai aucun doute là-dessus. Mais j’aime aussi ma planète, et ma planète, ce n’est pas la Terre.
– Je pensais que tu ne voulais plus vivre sur Frigellya. C’est ce que tu as dit à Élisa et David lors de ton arrivée, non ?
– Oui, mais j’avais tort. J’étais juste paniquée par un tournant de ma vie. Et comme je te l’ai déjà dit, même si alors je n’en étais pas vraiment consciente, ce qui m’a amené ici, c’est toi. Je nous ai vus amoureux alors que je n’étais qu’une petite fille et je suis sûre que je ne suis pas venue ici par hasard.
– Et au final, tu ne veux pas rester sur Terre, c’est ce que tu essaies de me dire ?
– Je… Je me sens déplacée ici. Ce n’est pas mon monde.
– Ce n’est pas mon monde non plus. Le mien est très loin dans le futur. Je suis un Epsilon qui vit dans un monde Alpha, tu vois ?
– Tu veux dire que tu accepterais de partir d’ici ?
– Je veux dire que je serai très heureux de vivre dans un monde plus avancé, où je n’ai pas à cacher ce sur quoi je travaille. Je suis un inventeur Lucie. Et les matériaux d’ici sont si vieillots. Quand Paul et moi on s’est échappé sur Frigellya — c’était quelque temps avant ton arrivée — j’ai passé les meilleurs jours de mon existence… technologiquement parlant, je veux dire. J’ai adoré vivre là-bas, même si j’étais sous la menace d’une lourde condamnation.
– Mes parents n’arrêtaient pas de me dire que je devais te parler. Ils avaient tellement raison. Je n’osais pas. Je pensais que tu étais attaché à cet endroit…
– Est-ce pour cela qui tu es si fuyante ces derniers temps ? Tu ne répondais pas à mes questions. Tu m’évitais même Lucie. Je pensais que notre histoire d’amour était terminée…
– Non, Sylvestre, non. Jamais. Je suis si désolée que tu aies pu croire ça à cause de moi.
– Je suis si heureux de m’être trompé. Oh Lucie, on s’en va où tu veux. Moi ce que je veux, c’est passer ma vie avec toi. C’est tout… Je veux être le père de tes enfants, je veux…
– Des enfants ? Tu veux des enfants ?
– Plein d’enfants ! Pas toi ?
– Je n’y ai jamais pensé, répond-elle en riant. Mais je suis sûre que tu seras un père formidable.
– Et toi, une sacrée maman…
– Et si on verrouillait cette porte ?
– De façon à ce que personne ne nous dérange ?
– Ce serait dommage et un peu embarrassant si on nous interrompait, non ?
– Absolument…

Sylvestre est assis, silencieux, dans son atelier Frigellyen, les yeux remplis de larmes. Il essaie de dessiner quelque chose, mais n’y arrive pas.
On frappe à la porte.
– Entrez, répond-il.
Lucia se glisse dans la pièce.
– Sylv, parle-moi, implore-t-elle.
Et il lui envoie un de ces regards auxquels elle ne sait résister. Il y a tant de tristesse dans ce regard aujourd’hui.
– Parle-moi, mon amour, insiste-t-elle.
– Je suis désolée. Je suis tellement désolée. Mais je ne peux pas faire ça.
– Sylv, il n’y a pas de soucis. Je te l’ai proposé parce que c’est pour nous le seul moyen d’avoir les enfants qu’on rêve avoir.
– C’est bien ironique tout ça hein ? Trop génétiquement différents pour avoir des enfants ensembles.
– Tu es du bout du temps et moi du passé lointain. On est tous les deux humains, mais le temps a fait son travail. Et on n’est plus compatibles…
– Je ne suis pas prêt à devenir Frigellyen Lucie. Je suis un humain complet depuis quelques années seulement. J’ai déjà été transformé. Je ne veux pas revivre ça. C’est au-dessus de mes forces.
– J’ai dit que ce n’était pas grave.
– On n’aura jamais d’enfant.
– On surmontera ça tous les deux. Souviens-toi de nos vœux de mariage.
– Lucie, construire une famille, c’était si important pour moi. Et je sais que ça l’est aussi pour toi. Je me sens tellement coupable. C’est moi qui parlais toujours d’enfants et je… je…
– Sylv, s’il te plait.
– Tu devrais me quitter. Je ne te mérite pas.
– Ne dit pas n’importe quoi, Sylv.
Sa voix a enflé et on peut y entendre une pointe de colère. Le visage de Sylvestre se fige. Lucia sait qu’il n’y a plus rien à faire. Il est enferré dans son silence.
– Cette conversation n’est pas terminée, lui dit-elle, regrettant immédiatement d’avoir claqué la porte derrière elle.

Élisa se réveille en criant « non » puis elle s’assoit dans le lit.
– Eh, Lizy, chérie, qu’est-ce qui ne va pas ?
Élisa sourit à ce surnom que lui a choisi son mari. Il l’appelle Lisy uniquement dans des moments très tendres.
– Ne t’inquiète pas. C’est juste un mauvais rêve.
– Un rêve, répète-t-il, s’asseyant également dans le lit, et passant son bras autour de sa taille.
Elle abandonne sa tête sur son épaule.
– J’ai rêvé que Sylvester avait des soucis avec Lucia. J’ai senti tant de tristesse dans son esprit. C’était horrible.
– J’ai senti des tensions entre ces deux-là hier soir.
– Je les ai senties aussi.
– Tu penses que mon rêve a été provoqué par ce que j’ai ressenti hier soir ?
– Peut-être. Je ne sais pas.
– Et si ça n’était pas un rêve ?
– Tu penses que tu l’as refait ?
– Je ne sais pas. Ma grossesse a changé quelque chose. Ma sensibilité est à fleur de peau. Et tu sais que Sylvestre est comme un frère pour moi…
Il lui caresse les cheveux, et l’embrasse.
– Essayons de nous rendormir. On reparlera de cela plus tard, d’accord ?
Elle lui sourit, lui rend son baiser avant de se recoucher. Elle se rendort quasi immédiatement. Mais pas le Commandant. Il est sur ses gardes, attendant de voir s’il se passe quelque chose. Si l’esprit d’Élisa s’échappe, il le sentira. Mais il s’endort finalement avant d’avoir remarqué quoi que ce soit.

– Il faut que je vérifie David. Je dois savoir s’il s’agit de la réalité ou pas.
– Je ne suis pas sûr que d’aller voir notre ami dans le futur soit une bonne idée.
– Je dois y aller.
– Élisa…
– David, si ce que j’ai vu est la réalité, je peux aider. Le futur ne va pas s’effondrer si Sylvestre est heureux au lieu d’être triste. Je veux juste donner un coup de main à un ami qui en a besoin. Qu’y a-t-il de mal à ça ? On a déjà tous les deux changé l’avenir des presque humains. On sait qu’on l’a fait. Même si on n’a pas encore commencé. Aider Sylvestre, c’est rien en comparaison.
Le Commandant soupire.
– Fait comme bon te semble, finit-il par dire.
– Crois-moi, je serai prudente. Je veux juste parler avec lui.
Après avoir été réveillée une seconde fois au milieu de la nuit par un autre rêve, Élisa était quasi-certaine que ce n’en était pas vraiment un. Car elle avait vu quelque chose de vraiment utile pour ce qu’elle voulait faire aujourd’hui : une date. Elle savait exactement quand et où aller.
Après un bon petit déjeuner, elle entre les coordonnées dans le transporteur. Elle est enceinte de deux mois, et son ventre commence tout juste à pointer. Elle a choisi des vêtements qui conviennent pour que ça ne se voie pas. Comme d’habitude, le transporteur atterrit dans le hall d’entrée du château. Si elle n’a pas rêvé, elle sait exactement où aller. Sylvestre aime dessiner après le déjeuner. Elle espère le trouver dans son atelier. Quand elle est face à la porte qu’elle suppose être celle de Sylvestre, elle n’hésite pas une seconde et frappe.
– Entrez !
La voix de Sylvestre. Elle sourit.
– Élisa ? Mais qu’as-tu fais à tes cheveux ?
– Sylvestre, je dois t’avouer que je suis peut-être un peu plus jeune que la dernière fois que tu m’as vue.
– Quoi ?
– Écoute, ça n’a aucune sorte d’importance. Tu connais mes capacités Dalygariennes. C’est ta tristesse qui m’a conduite ici.
– À travers l’espace et le temps, tu peux ressentir si loin ?
– Seulement pour les gens qui me sont chers.
– Eh bien, je pense que tu ne peux pas faire grand-chose pour moi.
– Oh, je suis sûre que tu as raison : tu es le seul à pouvoir faire quelque chose pour toi.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Ai-je raison de penser que tu as des problèmes avec Lucia ?
– Ce n’est pas un secret. On se dispute quasi tous les jours, et ça a commencé depuis un petit bout de temps. Ne pas pouvoir avoir d’enfant, ça tue notre couple.
– Mais tu pourrais ?
– Oh, Lucia t’a parlé.
Élisa ne répond pas tout de suite.
– Sylvestre, je suis venue ici pour te donner un conseil : va parler à Paul. Il est celui qui peut te comprendre le mieux. Il t’aime et il t’écoutera.
– Et que pourrait-il faire pour moi ?
– Ouvrir son cœur, ouvrir tes yeux…
– Je ne l’ai pas vu depuis si longtemps.
– Il sera ravi de te revoir. Va.
Elle lui sourit, l’embrasse sur la joue et sort de l’atelier.
Alors qu’elle arrive près de son transporteur, elle trouve Christophe en train d’attendre.
– Oh, je suis désolée. J’ai complètement oublié le protocole… Je n’ai pas attendu après avoir atterri.
– Je me demandais qui c’était. Je ne suis pas surpris que ce soit toi, répond Christophe en riant.
– Je ne peux pas rester…
– Tu as l’air différente de la dernière fois que je t’ai vu.
– Ne pose pas de question. Il faut que j’y aille.
– Je commence à te connaître Élisa. Je ne vais pas discuter. Salue David pour moi.
– Au revoir Christopher.
Et Élisa rentre chez elle.

Paul est agréablement surpris de voir Sylvestre. Celui-ci a juste sonné à la porte comme n’importe quel étranger.
– Salut fils. Je suis si content de voir. C’est vraiment dommage : Joshua est parti en promenade avec Nelly et sa cousine.
Sylvestre sourit. Une « Cousine », c’est ainsi que Paul considère la fille d’Élisa et David, même s’il n’y a aucun lien familial entre eux tous.
– Mais ne reste pas sur le palier. Entre, je t’en prie. On a tant de choses à se dire, ajoute Paul tout en conduisant Sylvestre au salon.
– Tu es chez toi ici, tu te souviens ?
Sylvestre répond d’un pauvre sourire.
– Élisa et David sont en train de jouer à Moira et Raymond aujourd’hui et tu sais quoi ? Le père de David a un rencard !
– Quoi ?
– Depuis qu’il est devenu pleinement humain, il est complètement transformé. Bon, c’est peut-être parce qu’il a une petite fille maintenant… C’est une très belle histoire. Il a recroisé la femme avec laquelle il avait dansé au mariage d’Élisa et David.
– C’était une des tantes d’Élisa, je crois.
– Oui, elle a déménagé dans le coin après la naissance du bébé. Elle a ouvert un centre d’activité pour les enfants. Je ne savais pas que c’était elle qui avait poussé Élisa à dessiner. Elle l’a encouragé à développer son talent. Je pense qu’elle a l’intention de faire la même chose avec sa petite nièce… Une veuve, un veuf… fous amoureux, je peux te l’assurer.
Comme Sylvestre ne dit rien, Paul saisit l’opportunité :
– Tu devrais venir nous voir plus souvent.
Sylvestre peut entendre une pointe de reproche dans la voix.
– Paul…
– Ce n’est rien fils. Je peux comprendre que tu as une nouvelle vie à construire…
– Paul !
Paul est surpris par le ton de Sylvestre. Il l’a rarement entendu monter la voix de cette manière. Il regarde fixement celui qu’il considère comme son premier fils et attend d’entendre ce qu’il a à dire.
– Ma vie part en morceaux…
– Pardon ?
– Lucia et moi, notre relation ne fonctionne pas.
– Je ne peux pas le croire…
– Et bien, je suis peut-être en meilleure position que toi pour savoir ce qu’il m’arrive, tu ne crois pas ?
Sylvestre est agressif cette fois, et Paul est de plus en plus surpris.
– Sylvestre, raconte-moi donc comment vous en êtes arrivés là…
– On ne peut pas avoir d’enfant ensemble. Elle ne doit pas rester avec moi. On est trop différent génétiquement. Moi du bout du temps. Elle des temps anciens. Les médecins Frigellyens nous ont dit que ce serait difficile pour eux de corriger ça. Nous sommes leur unique cas. Mais ils peuvent tous deux nous transformer en Frigellyens, et le problème serait réglé.
– Oh, je vois. Et c’est là le hic ?
– Quoi ?
– La transformation.
– Évidemment. Je suis pleinement humain depuis seulement une paire d’années…
– Et tu te souviens pourquoi devenir pleinement humain était si important pour nous ?
– Les sentiments.
– Oui. C’est pourquoi nous avons été volontaires à cette transformation. On ne l’a pas fait pour une quelconque humanité. Ce sont les humains qui nous ont fait ça. Ils nous ont créés et nous ont interdit de ressentir l’amour. Les humains peuvent être des monstres.
Sylvestre l’écoute calmement. Paul continue :
– Fils, je sais que c’est un choix difficile que tu as à faire. Mais ne te trompe pas d’objectif. Qu’est-ce que tu désires le plus ?
– Je veux être heureux avec Lucia et fonder une famille avec elle.
– Est-ce impossible ?
– Non, je te l’ai dit. Il y a une possibilité.
– Si tu deviens Frigellyen, qu’est-ce qui sera différent ?
– Je ne sais pas…
– Tu auras des sentiments ?
– Oui.
– Cela changera-t-il quelque chose entre Lucia et toi ?
– Oui.
– Et ce serait…
– On deviendrait génétiquement compatible.
– Et au final, n’est-ce pas cela que tu souhaites ?
– J’ai si peur papa. Mon syndrome du ralentissement…
Paul peut compter sur les doigts d’une seule main, le nombre de fois où Sylvestre l’a appelé « papa ».
– Fils, si Lucia est prête à être transformée et que tu te décides à le faire aussi, je peux venir. Je serai avec toi ce jour-là. Je te le promets. Ton syndrome ralentira juste le processus médical, comme il l’a fait auparavant. Il faudra les prévenir de ça, sur Frigellya. C’est tout. Ce sont des Delta, fils. Ils vont gérer.
– Élisa avait raison.
– Élisa ?
– Elle m’a dit de venir te voir. Elle m’a dit que tu ouvrirais ton cœur et que tu m’ouvrirais les yeux. C’est exactement ce qu’il s’est passé.
Paul ne dit rien. Il se contente de sourire.
– Il faut que je parle à Lucia, déclare Sylvestre.
– Tu ne veux pas voir Nelly et Joshua,
– Je reviens bientôt papa. Je te le promets. Avec Lucia.
Et les deux hommes s’étreignent chaleureusement.

Le Commandant est allongé dans le lit auprès d’Élisa. Cette fois, il sait que son esprit s’est échappé. Son corps est bien à côté de lui, mais il ne sent plus sa présence. Il a un pincement au cœur. Il ne peut s’empêcher de s’inquiéter. « Ça va durer combien de temps ?», se demande-t-il. Il dépose un baiser sur son front. Il sait qu’il va attendre jusqu’à son retour. Cette fois-ci, il ne se rendormira pas.

Sylvestre a beaucoup vieilli. Il ressemble à un humain de cinquante ans maintenant. Un jeune homme s’approche de lui.
– Demain, c’est le grand jour, dit Sylvestre. Tu deviens roi, mon fils. Abina mérite bien de se reposer enfin. Son règne a été si long. Tu sais, je n’avais jamais imaginé qu’un de mes enfants dirigerait un jour ce monde.
– J’aime cette planète, papa. Toi et maman, vous venez sans doute de la Terre, mais je préfère cette terre-là.
– Ce n’est pas une simple préférence, mais une véritable dévotion, mon fils. Les gens d’ici ont reconnu ta passion pour ce monde. Ils t’ont élu.
– J’étais le seul candidat, papa. Les enfants de Christophe et Abina n’ont même pas essayé.
– Parce que ce n’était pas ce qu’ils voulaient. Tu es mon second enfant, fils. Ta sœur Jessica a choisi une carrière dans la garde royale, comme Mira et Reymo. Je ne sais pas ce que les autres voudront faire, ils ont bien le temps de choisir leur voie. Mais je sais une chose : tous mes enfants sont de vrais Frigellyens…
– Mira est l’instructeur de Jessica, je crois.
– Oui. En parlant de Mira, j’ai bien vu comment tu regardais sa fille à elle et Reymo.
– Papa !
– C’est une très belle femme.
– Papa !
– Ok, fils, je ne dirai rien de plus. Rappelle donc à tes frères et sœurs que je les veux tous les six à diner ce soir. Ta mère et moi, on veut avoir un dernier repas avec vous tous, avant que tu ne deviennes le roi Henri.
– Oh, ça m’étonnerait qu’ils l’oublient, s’esclaffe Henri. Tu leur répètes tous les jours depuis des semaines. Je suis content que Nori et Rose puissent être là avec oncle David et tante Élisa.
– Et Nelly, et Paul, et…

« Rose !? »
Élisa se réveille en criant son nom.
Le Commandant lui murmure tout de suite des mots d’apaisement.
– Chhht ma Lisy. Ton esprit s’est échappé une trentaine de minutes. Je ne sais pas pour où, mais tu es de retour. Tout va bien.
Comme il le fait habituellement, il lui caresse les cheveux.
Élisa s’assied dans le lit.
– Non, tout ne va pas bien. Rose vit avec Nori. Je les ai vu avant de revenir ici. Juste après que le fils de Sylvestre ait dit qu’ils seraient tous deux là pour diner, mon esprit a été aspiré de Frigellya sur Terre. Ils habitent tous les deux ensemble. Sur Terre. Rose et Nori !
– Eh, eh, eh, calme-toi. Ce que tu apprends sur futur, tu ne peux en parler à personne — sauf avec ton adorable mari, si je ne suis pas concerné…
Élisa le pousse du bout d’un de ses poings.
– Tu es…
– Impossible.
– Ce n’est pas moi, ça d’habitude ?
– Eh bien, je suis de plus en plus humain, vois-tu…
Elle lui répond d’un sourire.
– Je pensais qu’elle avait le béguin pour Bénédict…
– Oh, c’est indéniable.
– Que s’est-il passé alors ?
– On verra. Possible que Bénédict ne soit pas intéressé…
– Mais si. C’est évident qu’il aime être avec elle.
– Oui, mais ce n’est pas aussi fort que de l’amour, je me trompe ?
– Non, tu as raison, j’ai la même sensation… Alors quoi ?
– Le futur nous le dira.
– Nori et Rose… Leur différence d’âge est… énorme.
– Élisa, ils ne sont même pas de la même espèce.
– C’est ce que je dis. Nori, il a quoi aujourd’hui, une centaine d’années terrestres ?
– Tu sais qu’il en fait quarante. Et souviens-toi. Un lien, ça se tisse à deux. Élisa, ça ne se discute pas. Même si ces deux-là ne ressentent pas les choses comme des Dalygariens.
– D’accord. Mais je ne veux plus que mon esprit s’échappe comme ça pendant mon sommeil. Je ne contrôle rien. Je voulais juste savoir comment avait évolué la vie de Sylvestre. Il aura une bonne vie. Mais j’en ai aussi appris sur d’autres personnes…
Le Commandant la regarde. Il ne dit rien, mais elle perçoit quelque chose dans ses yeux comme un « tu vois, le futur est une bombe à retardement ».
– Est-ce que tu penses qu’on peut trouver quelque chose pour empêcher mon esprit de s’échapper ? Tu sais comme ce collier supposé t’empêcher de voyager.
– Un inhibiteur ?
– Oui, j’en ai besoin d’un. Je ne peux pas continuer à me balader comme ça sans savoir vraiment ce que je fais.
– Je suis d’accord.
– Comme je suis étonnée.
Le Commandant lève les sourcils, comme à chaque fois qu’Élisa lui répond de manière ironique. Il n’est pas très habitué à l’ironie. C’est tellement… humain.
Élisa sourit.
– Contactons nos amis Frigellyens. On devrait peut-être leur demander ce collier. Ça pourrait marcher. Puisque ça empêche les esprits de voyager…
– On doit trouver quelque chose de toute manière.
– On va trouver Élisa. On va trouver.

Annie

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