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Chapitre 12 – Sur Dalygaran – Seconde partie

Le lendemain c’était le jour aux balanciers. Je suis rentrée tranquillement chez mes hôtes, avant l’épreuve de l’après-midi : l’école. A l’heure convenue, on est venu me chercher.
Je me suis retrouvée dans un immense amphithéâtre plein à craquer. Derrière moi un tableau électronique et un stylo. Je me suis fait expliquer le fonctionnement avant que la rencontre avec les élèves ne commence. J’allais pouvoir dessiner en couleur.
La directrice d’établissement a ouvert la séance. A l’aide d’un pointeur lumineux, elle distribuait la parole à ceux qui levaient la main. L’individu pointé pouvait être entendu clairement par tout le monde. J’ai commencé par me présenter. Des murmures ont suivi l’énoncé de mon prénom. Puis je leur ai expliqué que sur Terre, je n’étais pas un garçon, mais une fille. Et là ça a été un “ah” d’étonnement. Les premières mains se sont levées.
– T’as un amoureux sur Terre ?
Rires et ricanements divers dans la salle. Un “voyons les enfants” de la Directrice. Et moi :
– Oui. Enfin non. Euh, c’est compliqué.
– T’as combien de lunes ?
– Quoi ?
La Directrice tout bas : il veut savoir votre âge.
– Oh. Je ne sais pas. On n’a pas la même lune.
Encore un ah d’étonnement.
– Tu peux nous dessiner un cheval ?
– Ah ça je peux, mais je vais le dessiner comme ils sont sur Terre.
Et je me suis mise à dessiner. Dans mon dos, pendant que je m’affairais des murmures.
– Et voilà.
Oh d’admiration dans la salle.
– Et vous, vous ressemblez à quoi ?
Et c’est reparti pour un auto-portrait. Et là, ça a été un grand silence. Jusqu’à ce qu’une main se lève.
– Mons… Madame, vous êtes malade ?
– Non, bien sûr que non. Là d’où je viens la peau n’est pas irisée comme la votre et les gens peuvent être pâle comme moi ou plus foncé que vous encore.
Oh étonné dans la salle.
– Tu vas rester avec nous ?
– Non, je dois rentrer chez moi, dans quelques jours et rendre ce corps.
– On mange quoi sur Terre ?
– La nourriture est différente d’ici. Nous n’avons pas les mêmes animaux, ni les mêmes fruits et légumes. Je peux difficilement vous parler des goûts, mais je peux vous dessiner un poulet. On mange beaucoup de poulets, une tomate – c’est un légume que j’aime beaucoup, et mon fruit préféré, la pêche.
Et me voici en train de dessiner un poulet en train de picorer du grain, un pêcher en fleur avec une grosse pêche en illustration à coté et une tomate toute seule. Finalement la tomate ça m’inspire moins.
Ça murmure dans mon dos. J‘énumère qui est quoi lorsque j’ai terminé.
– T’es allée à la Grande Cascade ?
– Euh non. Je n’ai pas encore eu trop le temps de visiter. Mais sur Terre aussi il y a des grandes cascades. Vous voulez que je vous en dessine une ?
Un oui enthousiaste se propage dans les rangs.
Et je m’apprête à me lancer dans le plus grand dessin que je puisse faire sur ce tableau.
Je me retourne et dis aux enfants : ça va prendre du temps, aussi, je vous propose quelque chose. Si vous me chantiez une chanson pendant que je dessine ?
Ils ont entamé un chant, un chant sans parole fait de oh et de ah avec des groupes de voix qui se répondent, se mêlent, se séparent. Une mélodie à la fois joyeuse et émouvante. Je me suis sentie envahie par un bien-être immense et je me suis mise à dessiner frénétiquement. Jamais mon bras n’a été aussi vite. Le chant s’est tut d’un seul coup. Et j’ai arrêté de dessiner.
Je me suis reculée un peu hébétée, ne comprenant pas ce que j’avais devant moi.
La salle murmurait. J’ai senti de l’incrédulité.
– Ce… n’est pas une cascade, j’ai fini par articuler.
– Oh ça non, c’est le levé de l’anneau d’or, indique la Directrice.
– Mais je ne l’ai jamais vu… avant aujourd’hui.
– Le chant, c’était celui de la cérémonie de l’anneau d’or. Les enfants le chantent, juste avant qu’il ne se lève, me précise-t-elle.
– C’était un chant très beau. Merci les enfants, j’ai bredouillé.
– Les enfants, nous allons laisser notre invitée se reposer.
Protestations dans l’assistance.
– Et la cascade. On n’a pas eu la cascade.
– Je vous en ferai un tableau. Pour l’école. Promis.
Et ce fut les derniers mots que j’ai prononcé en public ce jour-là.

Le soir chez mes hôtes, on me regardait d’un air interrogateur.
– C’est la chanson qui m’a inspiré le dessin. J’étais comme ensorcelée. J’ai ressenti une telle ferveur. Mon bras était comme guidé.
– Par le chant ?
– Oui
– Vous êtes décidément pleine de surprises Élisa de la Terre, dit mon hôte.
– Je ne comprends vraiment pas ce qui m’arrive.
Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora pose sa main sur mon épaule et me dit d’un air espiègle :
– N’auriez vous pas une nouvelle coiffure à proposer, pas pour moi. Pour Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Avec de longs cheveux comme ça, on pourrait faire un chignon.
Je retrouve le sourire.
– Oh je ne sais pas ce que c’est, mais hors de question que qui que ce soit touche à ma tresse.
– Tu n’es qu’un froussard, lui lance sa femme.
– Je suis prudent, lui répond-il.
– Ce n’est pas grave. De toute manière j’ai un tableau à faire. À tout à l’heure, je monte dans ma chambre pour dessiner.
– À tout à l’heure me répondent-ils en chœur.

Le lendemain matin, j’ai la surprise de voir le Commandant débarquer chez mes hôtes.
– Changement de programme, m’annonce-t-il. Pas de sport en salle aujourd’hui, on va en plein air.
Lorsque je sors à l’extérieur, je vois deux montures prêtes.
– Où allons nous ?
– A la Grande Cascade.
Et il détale au grand galop. Au bout de quelques minutes, le voilà qui ralentit. Je me porte à sa hauteur et nous chevauchons côte à côte.
– C’est au bout de ce chemin.
Au bout du chemin.
– Nous y sommes. Là voilà.
La cascade est en face. Elle tombe en escalier. Nous sommes en surplomb d’un immense bassin qui s’étire sur une extrémité à perte de vue. Une passerelle s’avance dans le vide.
– Venez, me dit -il.
Nous nous asseyons tous les deux en bout de passerelle. Aucune protection. Je frissonne un peu. Mon coeur se serre. Cet endroit est si… terrien. J’ai soudain le mal du pays. Ou plutôt de la planète.
– Vous savez nager ? me demande-t-il.
– Oui.
– On saute ?
– Quoi ?
– On est assis sur un plongeoir. On saute !
Et il pousse sur ses bras, tombe dans le vide se retourne et entre dans l’eau bras en avant tête en bas. Il disparaît quelques instant puis refait surface. Je l’entends crier “venez”.
– Vous êtes un grand malade, je lui réponds en me mettant debout sur la passerelle et en me penchant un peu pour mieux le voir.
– Rasseyez vous et re-visualisez ce que je viens de faire. Ce n’est qu’un plongeon. Vous pouvez le faire, j’en suis certain. Vous savez nager !
– Oui, mais là n’est pas la question.
– Et quelle est la question ?
– Si on est tous les deux en bas, comment on rentre. Nos chevaux sont ici.
– Regardez derrière vous.
– Ils sont partis. Merde, ils sont partis.
– Je les ai rappelé.
– Quoi ?
– Le lien psychique. Ils sont en chemin pour nous retrouver. Sautez. Je commence à ne plus avoir de voix à crier comme ça.
Je me rassois sur le bord et je me remémore la chute du Commandant. Puis je l’entends me crier :
– Maintenant !
Et je me suis projetée dans le vide, exécutant la même figure que lui auparavant.
– Je le savais; Je le savais que vous réussiriez. Un niveau 10 aux balanciers ne pouvait que réussir un exercice aussi simple.
– Je ne sais pas ce qui me retient de vous en coller une !
– Je suis votre Commandant !
– Je ne suis pas un de vos soldats.
– Tant que vous êtes dans ce corps, vous êtes sous ma responsabilité.
– Oh, je pensais être sous celle d’Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Pas quand vous êtes avec moi. On va devoir nager maintenant, nous devons atteindre le bout du bassin dans cette direction. Qu’est-ce que vous faites ?
– Je nage !
– C’est comme ça que vous nagez sur Terre ?
– Oui, ça s’appelle du crawl.
– Vous restez en surface  ?
– Euh oui. En tout cas moi oui.
– Pourtant sous l’eau c’est plus joli.
– Sous l’eau on voit pas grand chose et je ne tiens pas longtemps sans respirer.
– Dans ce corps, vous faites partie des nôtres. Vous avez exactement les mêmes capacités, voire plus à ce que j’ai pu voir aux balanciers. Alors vous allez m’écouter attentivement. Nous pouvons rester sous l’eau longtemps, avant de remonter respirer une bouffée et replonger aussitôt. Dès que nos yeux entrent en contact avec l’eau, une membrane protectrice les recouvre et notre vision reste très bonne. Vous devez remplir vos poumons avant de plonger, mais surtout vous devez vous concentrer pour ralentir les battements de votre cœur. Nagez de manière fluide et tranquille. Est-ce que c’est bien compris ?
– Remplir les poumons et ralentir le cœur, nager fluide et tranquille.
– Voilà. On fait un essai. Allez-y… Ne paniquez pas. Revenez vers moi avec votre crawl. Vous devez vous détendre.
– J’aimerais vous y voir.
– Concentrez vous. Essayez de vous imaginer sous l’eau. Voilà. Vous ralentissez votre cœur. Prenez une inspiration et laissez vous glisser tout doucement. Mais n’oubliez pas de laisser les yeux ouverts.
Et je me suis laissée glisser sous l’eau.

J’ai vu le Commandant passer devant moi. J’ai regardé ses mouvements et je me suis lancée à sa suite. Nager en ne remontant que de temps à autre pour respirer, c’est vraiment fantastique. Et le Commandant n’avait pas menti, je découvre sous la surface de ce bassin un monde d’une incroyable beauté, peuplé de poissons bizarres et colorés. Au cours de notre périple sous-marin, Il m’a montré du doigt une espèce de globe argenté luminescent. Il est allé le gratter de ses doigts, et la lumière s’est intensifiée. Il m’a invité à l’imiter sur un autre spécimen qui nageait à proximité de ma main. J’ai adoré. Il me dira plus tard que c’étaient des lunes de lac. Il en existe aussi à lumière rouge. Mais ils sont plus rares. Les enfants adorent les lunes de lac et ne manquent pas une occasion de les chatouiller lorsqu’ils viennent nager.
Au fur et à mesure qu’on s’approche de notre bout du lac, les fonds se rapprochent également et se couvrent de sortes d’algues bleues et vertes.
Nous atteignons finalement la rive. J’ai la surprise en sortant de l’eau de voir ma combinaison se sécher le temps de quelques pas.
– Vêtements militaires dernière génération, m’annonce fièrement le Commandant.
Je ravale mon couplet sur les vêtements mouillés que je m’apprêtais à lui servir.
– Nous devons encore marcher un bout de chemin avant d’arriver à la clairière où doivent nous rejoindre les chevaux.
Nous marchons en silence.
– Nous y voilà.
Les chevaux sont visibles au loin. Ils arrivent d’un pas tranquille. Nous allons à leur rencontre et remontons en selle.
Je romps le silence.
– Merci.
– De quoi ?
– De m’avoir appris à nager comme un Dalygarien.
Le Commandant sourit et lance sa monture au galop.

Annie

4 commentaires

    • Réponse prévue dans le chapitre 3 de la deuxième histoire – qui n’est pas encore écrite, mais dont j’ai déjà le plan, en partie 😉

  1. J’ai vraiment l’impression que tu assouvis tous tes fantasmes par écriture interposée. Quel pied.

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