Ce matin, c’était mon troisième voyage. Les deux Martin m’ont accueillie comme d’habitude. Je suis allée à l’unité de voyage, me suis allongée dans la nacelle et j’ai attendu le gaz.
Je me suis retrouvée dans un monde sous une lumière bleue. Comme si le jour n’arrivait pas à se lever. Je crois que c’était la planète qu’on appelle “Minuit”, justement à cause de ça. Parce que j’ai reconnu les êtres à yeux rouges phosphorescents. Croyez-moi, c’est un monde fabuleux. C’est paisible Minuit en surface, mais je me suis souvenue des récits de cités souterraines. J’ai trouvé le chemin je ne sais comment. C’est bizarre, c’était comme si je m’en souvenais. Jamais je ne pourrais oublier ça. C’était immense, et tellement beau. Toutes ces sculptures, toutes ces habitations intégrées dans la roche. Le son paisible qu’on peut y entendre. Des bruits d’eau qui coulent, des chants d’oiseaux, enfin de ce qui ressemble beaucoup à nos oiseaux. J’étais aux anges. J’avais envie de tout voir. Et là, ça m’a scié : j’ai fait le tour de la planète à toute vitesse. En fait, je suis allée successivement sans presque m’arrêter dans des tas d’endroits différents de ce monde. Un peu comme si j’assistais à un diaporama. Et vous savez quoi, j’ai eu une de ces sensations de déjà vu ! Du coup je suis allée nul part et j’ai souhaité visiter un autre monde.
Ni une ni deux, j’ai changé de monde.
Je me suis retrouvée sous un véritable déluge. J’ai du me réfugier dans une maison pour voir quelqu’un, car dehors, il n’y avait personne. A l’intérieur : des sortes d’humains bleus, avec de grand yeux oranges. Je n’avais pas envie de les regarder. Toujours cette sensation bizarre qui me poursuivait. Alors une fois de plus j’ai souhaité être ailleurs. Et je peux dire que la surprise a été de taille.
Lorsque je suis arrivée sur cette planète, ce sont des cris qui m’ont accueillie. J’ai mis un certain temps à comprendre qu’ils m’étaient destinés. A chaque fois que je me déplaçais, les cris se déplaçaient avec moi et les êtres de cette planète montraient tous du doigt une même direction, que j’ai fini par suivre. Je me suis demandée s’il me voyait. Voir un esprit ? En tout cas il sentait ma présence c’est certain. A chaque instant ils savaient où j’étais. J’ai fini par arriver devant un bâtiment, toujours en suivant les doigts.
A l’intérieur, j’ai eu la sensation d’être attendue. Il y avait quelqu’un de posté à chaque fois qu’un couloir bifurquait. Et j’ai fini par y arriver. Me voilà dans une grande pièce claire. Dedans, un seul personnage.
Que je vous décrive un peu les habitants de cette planète tels que le je les ai vu jusqu’ici : je ne saurais dire s’ils sont grands ou petits, puisque tout est relatif et étant un esprit, je n’ai pas de point de comparaison. Cependant il sont élancés, de peau couleur miel, striée de lignes un peu plus pâles ou plus foncées, selon les individus. Ce qu’on remarque en premier, ce sont leur yeux. Ils sont quasiment ronds s’étirant légèrement vers le haut de chaque coté du visage. Mais ce n’est pas ça qui fait qu’on les remarque. L’un des deux yeux est entouré d’une tâche plus ou moins marquée, allant de blanc à marron foncé. Ceci étant dit, ils ont un nez comme celui d’un chat, une bouche avec des lèvres comme nous et des petites oreilles très discrètes de chaque coté du crane. L’habillement est à base de drapage et dans la population il y a des individus aux long cheveux nattés et d’autres sensiblement plus petits que les premiers au cheveux ne dépassant pas les épaules.
L’exemplaire devant moi porte la natte. Il me parle, mais je ne comprends rien, pendant de longues secondes.
“… comprenez, faites un cercle. S’il vous plait j’aimerais savoir si vous me comprenez. Je peux sentir votre esprit se déplacer, si vous me comprenez faites un cercle. S’il vous plait j’aimerais savoir si vous me comprenez. Je peux sentir votre esprit se déplacer, si vous me comprenez faites un cercle…”
Un cercle, faire un cercle. Bon j’ai vu défiler une planète entière devant mes yeux. Je me suis déplacée jusqu’ici. Faire un cercle ce n’est pas compliqué. Alors je fais le cercle.
“Ah ça y est, la traduction est active. Vous êtes un voyageur non enregistré et vous êtes allé en ville sans corps. C’est strictement interdit ici. On ne peut voir sans être vu. Vous auriez du venir directement en salle de débarquement. En l’occurrence la salle de débarquement c’est ici. Vous avez deux options : vous fuyez, et vous ne revenez jamais sur cette planète. Ou alors, vous entrez dans un corps. Même si vous n’étiez pas prévu, nous en avons justement prêt à l’emploi. Il est possible que vous n’ayez jamais fait une telle chose, mais c’est très facile. Si vous voulez rester, regardez ce corps, et visualisez le bien. Souhaitez être à l’intérieur, des capteurs psychiques feront le lien et vous amarrerons.”
Entrer dans un corps ? Mais et le mien alors ? Je ne sais pas trop ce que je dois faire. Fuir et essayer de rejoindre Proxiterra ? Mais aurais-je une autre occasion de pouvoir parler avec une autre espèce ? Ça me fait flipper cette histoire de corps, mais ça me tente aussi. Ne plus être invisible. Pouvoir parler, échanger. Et il aura suffit qu’un instant cette envie m’effleure pour que je me retrouve capturée dans ce corps. Je suis donc allongée sur une espèce de banquette. Je sens que je peux bouger les membres. J’ouvre les yeux.
“Vous voilà. Attendez un moment avant de tenter de vous lever. Les fonctions vitales doivent être activées. Ça va prendre une ou deux minutes pour que tout soit opérationnel.”
J’essaie de parler.
“Je…
– Soyez patient
– Je…
– Nous allons avoir du temps pour nous connaître …”
Et là j’ai entendu la porte s’ouvrir à grand fracas. Une voix furieuse :
– Qu’est-ce que vous avez fait ?
– Bonjour Commandant.
– Mais bon sang qu’avez vous fait espèce d’inconscient ?
– J’ai donné un corps à un voyageur perdu.
– Mais vous lui avez donné CE corps.
– C’était le seul prêt à recevoir un esprit dans l’immédiat.
– Il aurait pu attendre.
– Elle – ça c’est moi qui commence à un peu mieux maîtriser mon nouveau corps. Drôle de voix au passage.
– Elle ? demande le Commandant
– Oui, je suis une fille, je m’appelle Élisa
– Quel nom ridicule. Vos parents n’ont pas trouvé plus court ?
– Commandant, inutile d’être désagréable, dit mon hôte.
– Vous allez lui dire ? – ça s’est le Commandant et j’ai l’impression qu’il ricane
– Quoi ?
– Le type de corps. Il ne correspond pas à ce qu’elle est.
– Ah ça.
– Quoi ? que je dis en commençant à m’inquiéter
– Vous êtes dans un corps masculin.
– Quoi ?
– Enfin de type masculin. Pas tout à fait masculin. Tous les attributs n’y sont pas …
– Taisez vous !
– Oui Commandant.
– Je suis dans un mec ?
– On dirait bien que oui – encore le Commandant et son ton moqueur. Elle est sous votre responsabilité, continue-t-il en s’adressant à mon hôte. Je vous tiendrai pour responsable de toute dégradation qu’il pourrait arriver à ce corps.
– Eh oh, je suis dedans. Je ne vais pas l’abîmer – je rétorque
– Vous n’en savez rien.
Et le Commandant s’en va en claquant la porte.
Dans l’intervalle, j’ai réussi à relever le buste et m’asseoir sur la banquette. Je peux voir mon hôte maintenant, et je n’aurai vu que très brièvement le Commandant, puisqu’il a tourné les talons au moment où il entrait dans mon champs de vision.
– Charmant personnage, que je dis en montrant la porte du menton
– Il ne faut pas lui en vouloir. Vous ne savez pas tout.
– Je ne demande qu’à savoir.
– Faisons d’abord connaissance.
– Je m’appelle Élisa et je viens de la planète Terre. Et il va vraiment falloir que je me fasse à cette voix.
– Vous êtes Élisa et la première Terrienne à visiter Dalygaran.
– Dalygaran ?
– Oui c’est le nom que nous donnons à notre monde.
– Et puis-je savoir quel est votre nom ?
– Étoile Scintillant Dans l’Immensité De l’Univers.
– Je vous demande votre nom.
– Étoile Scintillant Dans l’Immensité De l’Univers.
– Mais qu’est-ce que vous avez avec votre étoile ?
– Étoile Scintillant Dans l’Immensité De l’Univers c’est mon nom.
– Vos parents n’ont pas trouvé plus long ?
– Vous faites la paire avec le Commandant.
– Désolée. Ai-je été impolie ?
– Rien de grave. Vous êtes une étrangère, il y a forcément des choses que vous ne savez pas.
– Et le Commandant, il a un nom ?
– Cristal de Lune. Ses parents devaient être quelques peu excentriques.
– Pardon ?
– Sur Dalygaran il est d’usage de donner un nom relativement long. Il montre l’amour de vos parents et exprime leur vision qu’ils ont de vous. Cristal de Lune est un nom court selon nos critères et seuls des parents excentriques exposent leurs enfants aux moqueries des autres en choisissant un nom de ce type.
– C’est pourtant très joli Cristal de Lune.
– Vous trouvez ?
– Bien sûr. Comment trouvez-vous Élisa ?
– Original
– Vous n’aimez pas.
– Ça ne veut rien dire Élisa. C’est juste un nom comme pour une planète.
– Eh bien chez nous c’est comme ça qu’on appelle les gens, par des noms spéciaux qui ne veulent rien dire de particulier. Enfin si des fois : Rose, Jasmin, Violette …
– C’est extrêmement court !
– Ce n’est pas important chez nous.
– Je comprends.
– Mais dites moi, comment ça se fait que nous puissions parler ?
– Traduction psychique par auto-apprentissage.
– Pardon ?
– Votre esprit a été scanné le temps nécessaire à l’acquisition d’une connaissance suffisante de votre langage.
– Quoi ? Vous avez scanné mon esprit ?
– Vous êtes venues sans corps.
– Évidement que je suis venue sans corps. Les corps ne voyagent pas.
– Bien sûr que si les corps voyagent.
– Ne me dites pas que vous avez des vaisseaux spatiaux.
– Des quoi ?
– Des vaisseaux spatiaux. Des machines pour voyager dans l’espace.
– On a des transporteurs.
– Des quoi ?
– Des transporteurs, des machines qui se dématérialisent d’un point et se matérialisent à un autre, tout comme l’a fait votre esprit, mais avec des gens à l’intérieur. Un transporteur. Vu votre manière de voyager, je ne suis pas étonné que vous ne connaissiez pas les transporteurs…
– Qu’est-ce qu’elle a ma manière de voyager ?
– Vous regardez sans être vu, c’est… très impoli.
– Mais ici vous m’avez “vue”.
– Senti. Nous sentons la présence d’esprits, même étrangers. Nous avons senti votre étonnement, votre peur. Nous avons maintenant une partie de votre mémoire. Celle que nous avons analysé pendant l’acquisition du langage.
– Vous me piquez mes pensées et c’est moi qui est impolie ?
– Elles ne sont accessibles que si elles sont activées. Les gens savent que quelqu’un de la planète Terre vient d’arriver et ont des notions de vocabulaire Terrien qui n’ont pas d’équivalent ici, comme, euh…, steack-frite. Ça se mange apparemment.
– Oui. Qui me dit que vous ne continuez pas à scanner mon esprit ?
– Oh parce que maintenant que vous êtes dans ce corps, vous êtes comme nous. Quand un esprit est scanné, tout le monde le sait.
– Génial !
– Vous paraissez contrariée.
– C’est pas tous les jours qu’on se fait scanner l’esprit. Bon ben, j’ai été très heureuse de discuter avec vous, mais si je n’ai pas entendu le rappel, je pense que je ne devrais pas tarder à rentrer sur Terre.
– Entendre un rappel ?
– Oui une note qui m’indique combien de temps je suis en vadrouille, si je désire rentrer.
– Une note ? Mais un esprit – en vadrouille – comme vous dites, n’entend absolument rien de ce qui peut environner son corps.
– Mais je vous assure que si.
– Vous vous êtes fait avoir. Mais d’un coté c’est moins angoissant.
– Quoi, vous pouvez m’expliquer.
– Conditionnement.
– Ben oui ça je sais conditionnement.
– On vous a envoyé des impulsions électriques.
– Une note.
– Aussi. Ainsi maintenant, quand l’impulsion électrique est envoyée, vous pensez entendre une note.
– J’entends une note.
– Vous voyez. Mais vous ne pouvez entendre quoique ce soit. Vous n’êtes pas à proximité de votre corps.
– Et l’impulsion électrique ?
– Elle perturbe le lien entre votre corps et votre esprit, le lien qui fait que vous êtes capable de revenir. C’est pour cela que vous la percevez. Vous avez des fourmis dans les extrémités lorsque vous revenez après une note, n’est-ce pas. ?
– Oui.
– Impulsion électrique.
– Oh les salauds !
– Ne soyez pas sévère. Croire qu’il s’agit d’une note est sans doute moins angoissant.
– Vous l’avez déjà dit.
– Je le pense. Mais vous ne pourrez pas revenir aujourd’hui.
– Je vous demande pardon ?
– Vous avez parcouru la ville sans corps. Le Grand Conseil doit statuer sur votre sort.
– Vous plaisantez ?
– Non pas du tout. Ne vous inquiétez pas. Le Grand Conseil est très clément avec les étrangers – je veux dire ceux qui ne connaissent pas nos règles. Ils vont sans doute voter une aide pour votre retour.
– Voter une aide ? J’ai besoin d’une aide ?
– Pour sortir de ce corps, oui. Il est facile d’y entrer, mais on ne peut en sortir que grâce à une capsule de nanites.
– Une capsule de quoi ?
– Nanites : ce sont des particules micro-actives qui se chargeront de la déconnexion. Mais avant cela, comme vous êtes la première Terrienne à venir ici, nous avons besoin d’un échantillon de sang.
– Mon corps est sur Terre.
– Je sais.
Salut Annie, ton histoire commence à devenir un peu flippant tout de même. Les impressions de déjà vu, c’est parce qu’ils ont tenté de lui effacer la mémoire ? Parce que tu n’en as pas parlé des souvenirs qu’elle a en quittant les Martin. Et puis, si elle raconte ses histoires aux autres et comment ils réagissent ?
Oui, à la fin du dernier chapitre, ils ont décidé de ne lui laisser que Proxiterra comme souvenir. Mais on dirait qu’il y a des résidus qui font surface. Et c’est pour qu’elle ne raconte pas ses histoires aux autres que les deux Martin font « le ménage ». Elle ne peut raconter que ce qu’un humain normalement constitué peut faire. Après maintenant qu’elle est dans un corps, une nouvelle aventure commence 🙂 Tu trouves ça vraiment flippant ?
Oui, on comprend bien que sa mémoire n’a pas été très bien effacée …. en tout cas lorsqu’elle voyage, ses souvenirs semblent surgir.
Je me demande ce qu’il va se passer parallèlement sur terre. Comment vont réagir les 2 Martins en ne la voyant pas rentrer?
J’ai hâte de découvrir ses nouvelles aventures dans un corps masculin sur cette lointaine planète !
Ah les deux Martin, j’ai enfin décidé qui ils étaient. Mais ce ne sera pas révélé dans cette histoire, ni dans la prochaine, je pense 😉
Pour ce qui est des aventures d’Élisa sur Dalygaran, je dois dire que ça a été écrit au fil de l’eau pendant les dernières vacances. Rien de prémédité, à part un petit truc que je signalerai dans les coulisses le moment venu. C’est dur quand tu as une idée en tête de devoir attendre que l’histoire se déroule pour enfin l’écrire ! Et ce ne sera qu’au chapitre 13. Après t’es comme une cloche, parce qu’il faut bien la finir cette histoire… sans que ça perde trop d’intérêt. J’espère que vous ne serez pas trop déçu 😉