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Chapitre 3 – Nature révélée

Dans la salle de désembarquement de Dalygaran Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers attend que le corps de voyage s’anime. Il ressent la présence de l’esprit et aussitôt les yeux s’ouvrent.
– Pourriez vous envisager la prochaine fois de me laisser répondre.
– J’aurais également aimé vous parler.
– Qu’est-ce que vous racontez, vous m’avez parlé, mais vous avez coupé la communication.

– Mon ami, je  ne sais pas trop comment vous l’annoncer sans vous causer un véritable choc, mais je ne suis pas qui vous croyez.
– Ne dites pas n’importe quoi. Et qu’est-ce que c’est que cette façon de me parler. La dernière personne qui s’est adressée à moi en m’appelant “mon ami” c’était le…
– Commandant, le coupe ce dernier.
– Oui, oui, c’est exact…
– Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, c’est moi. Je suis le Commandant.
– Je…
– S’il vous plaît, qui pourrait vous faire une blague d’aussi mauvais goût le jour même de ses funérailles. Je vous assure, c’est bien moi. Je n’ai pas réussi à rejoindre mon corps sur Dalygaran, mais je suis… dans un corps sur Terre. Les personnes, celles qui nous ont aidé pour le retour d’Élisa, ce sont des Epsilons et ils ont décidé de me donner un corps. Et me voici.
– Des Epsilons ? Un nouveau corps ?
– Oui.
–  Et vous êtes le Commandant ?

– Oui.
– Quel est le niveau du Commandant à l’épreuve des pendula ?
– 8.
– Combien de Dalygariens ont atteint ce niveau ?
– 2.
– Qui est l’autre ?
– Mon père.
– Je n’arrive pas à y croire. Vous êtes lui ? Vraiment lui ?
– Oui.
– Oh sacré nom d’une pipe !
Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers prend le Commandant dans ses bras pour le serrer très fort. Ce dernier se met à rire et lui donne quelques tapes dans le dos.
– Vous êtes vivant. Je n’y crois pas. Vous êtes vivant.
– Oui mon ami. Et je continuerai à l’être si vous me laissez respirer…
– Oh, désolé.

Le Commandant montre son poignet droit à Etoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Vous avez une idée de que c’est ?
– Un révélateur. Élisa s’en est servi pour se montrer sous son apparence humaine quand elle était ici hier.
– Oh. Et vous savez comment ça marche ?
– Pour que votre véritable apparence se dévoile il faut appuyer sur le bouton rond.
– Vous voulez voir mon apparence humaine ?
– Oui, montrez moi ça.
Et le Commandant appuie sur le bouton rond.
La surprise d’Étoile Scintillant dans l’Univers est telle qu’un cri lui échappe.
– Je suis si affreux que ça ?
– Commandant, vous devriez aller vous regarder dans un miroir.
Le Commandant intrigué s’en va au fond de la salle, où il y a une fenêtre réfléchissante. Lorsqu’il aperçoit son reflet, il laisse échapper une exclamation.
– Alors ça si je m’attendais. C’est moi, vraiment moi, comme j’étais avant. Pas ma forme humaine, mais avec mes habits Terriens. Ce révélateur porte rudement bien son nom…
– Vous devriez appuyer sur le bouton triangulaire. Il vous permettra de réapparaître sous la forme de votre corps de voyage. Vous risquez de créer une grosse frayeur à quiconque rentrerait dans cette pièce. Tout le monde vous croit mort. Vos funérailles sont prévues pour cette après-midi.

Le Commandant a juste le temps d’appuyer sur le triangle que la porte s’ouvre sur Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora, le bébé dans les bras.
– Vous avez pu venir.
Elle donne l’enfant à son mari et s’en va serrer l’occupant du corps de voyage dans ses bras. Puis elle se recule.
– Vous n’êtes pas Élisa. Vous êtes… embarrassé. Élisa ne serait pas embarrassée. Qui êtes vous ?
– Attend toi à une grosse surprise lui dit son mari.
– Comment ça une grosse surprise ? Qu’est-ce qui pourrait me surprendre tant que ça ?
– Par exemple que je dise que je suis le Commandant.
– C’est de très mauvais goût. Le Commandant est mort et nous l’enterrons cet après-midi.
– Je suis vivant.
– Cessez cette comédie. On va savoir tout de suite qui vous êtes.
Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora,  furieuse se saisit du poignet du Commandant et appuie elle même sur le bouton rond, tel qu’elle avait vu Élisa le faire la veille. Elle le lâche aussitôt en criant et recule.
– Vous êtes… vous êtes…
– Vivant. Je vous l’avais dit.
– Mais comment est-ce possible ?
– On m’a donné un corps. Sur Terre.
– Mais les Humains ne connaissent rien de la technologie des corps.
– Je ne pense pas qu’ils soient Humains. Ce sont des Epsilons.
– Des Epsilons vous ont offert un corps ?
– Ils l’ont fait oui.
– C’est absolument incroyable.
– Même moi ça me fait tout bizarre. Mais alors dites moi, le bébé est né.
– Oui, hier peu avant le départ d’Elisa.
– Elle ne m’a rien dit.
– Vous l’avez vu alors ?
– Oui, les Epsilons sont ses amis.
– Une Alpha amie avec des Epsilons. J’ai toujours su que cette fille était spéciale, marmonne Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Oui, elle est spéciale et elle ne m’a rien dit, répète le Commandant.
– Je pense qu’elle a dû vouloir vous laisser la surprise.
– Mais je savais que vous n’alliez pas tarder à accoucher. Ça n’a rien d’une surprise.
Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora tend les bras pour reprendre son enfant et s’approche du Commandant.
– Commandant, je vous présente la petite Cristal de Lune.
– Vous n’avez quand même pas…
– Oh que si. En votre mémoire, pour avoir contribué à sauver Dalygaran.
– En ma mémoire…
– Disons en votre honneur, maintenant que vous êtes à nouveau vivant.
– Pauvre enfant…
– Vous ne pensez pas ce que vous dites. Je le sens bien dit Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora en souriant.
– Je suis… honoré. Je peux la prendre un instant ?
– Si vous pouviez juste avant appuyer sur le triangle de votre révélateur. Quelqu’un d’autre pourrait rentrer.
– Ah oui, c’est vrai.
Il appuie sur le triangle et prend la petite Cristal de Lune dans ses bras.
– Regardez moi ça. Tout le portrait de sa mère.
– Vous trouvez ?  demande-t-elle.
– Oh ça crève les yeux, lui répond-il.
– Votre père est-il au courant ? demande Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora.
– Pas encore, répond le Commandant. Je dois me rendre au plus vite au Haut Commandement pour qu’un Conseil extraordinaire soit réuni.
– Le deuxième en deux jours, souligne Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers. Le retour d’Élisa avec l’étoile du matin en a déjà provoqué un.
– Je dois y aller.
Le Commandant donne la petite Cristal de Lune à son père tout à coté de lui et sort de la pièce pour prendre le chemin du Haut Commandement. Les deux époux le regardent partir.
– Tu sais ce que ça veut dire ? demande-t-elle à son mari.
– Qu’il va pouvoir être le parrain de notre fille.
– Ah, c’est une bonne idée ça. Tu crois qu’il va faire quoi, maintenant ?
– Nous verrons bien.
– Et tu ne vois rien d’autre ?
– Non, je ne vois pas…
– Il a retrouvé Élisa. Il est sur Terre !
– Oh et tu crois que…
– J’en suis certaine.

Le Commandant arrive devant le bâtiment du Haut Commandement et frappe à la porte. Il n’attend pas la réponse pour entrer se plante devant le même chargé du protocole qu’Élisa la veille. Il ne s’embarrasse pas d’explication et appuie directement sur le bouton rond. Le chargé du protocole laisse échapper un cri de surprise et tend une tablette au Commandant. Celui-ci tapote un moment sur l’écran, puis montre le résultat à l’homme face à lui qui le fixe complètement médusé.
Puis comme la veille, l’homme demande à parler au Commandant Suprême.
– Vous devriez réunir le Haut Commandement Monsieur, et inviter les Membres du Haut Conseil.
Et une nouvelle fois il doit dire :
– En tant que chargé du protocole, j’insiste Monsieur.  et j’invoque la procédure d’urgence Bien Monsieur… Dans la salle des Conseils.
L’homme lève la tête et s’adresse au Commandant :
– L’audition commence dès que le quorum est réuni. Vous connaissez le chemin.
Lorsqu’il rentre dans la salle des Conseils, le Commandant constate que le quorum est déjà presque atteint. Il aurait préféré pouvoir se rendre directement chez son père, plutôt que dans cette salle avec du public, mais ils sait que cette audition doit se faire en premier. Question de protocole…
– Le Commandant Suprême est très occupé par les obsèques du Commandant Cristal de Lune. Il ne viendra pas à l’audition. Le quorum est atteint, nous pouvons commencer.
C’est le Président du Haut-Conseil lui même qui mène les débats en l’absence du Commandant Suprême.
– Mesdames et Messieurs du Haut-Commandement, Vos Excellences, je viens demander l’annulation des obsèques du Commandant Cristal de Lune.
– Comment ? Comment osez vous ?
– Il n’est pas mort. Enfin je veux dire :  je ne suis pas mort.
Et à nouveau il appuie sur le bouton rond du révélateur, puis assez rapidement sur le bouton triangulaire devant les yeux grands ouverts de l’assistance.
– Vous venez de voir fonctionner un révélateur, qui vous a montré qui je suis vraiment. Et chacun d’entre vous, s’il allume l’écran devant lui pourra constater que le Commandant Cristal de Lune s’est authentifié sur notre système de sécurité, il y a moins de 1 centième. Et je peux le refaire devant vous si vous le souhaitez.
Le Président du Haut Conseil se lève pour aller fouiller dans le tiroir d’un meuble à proximité. Il sort une tablette qu’il tend en direction du Commandant. Celui-ci vient la chercher, retourne à sa place et répète la manipulation d’authentification. Il montre le résultat à l’assistance. A l’écran : sa fiche d’identification.
Un murmure incrédule parcourt la salle.
– Il faut prévenir le Commandant Suprême. Vous vous en chargez ?
– Évidemment, répond le Commandant.
– Mesdames et Messieurs, la séance est levée. Nous entendrons le Commandant Cristal de Lune ultérieurement.
Le Président du Haut Conseil s’approche du Commandant et lui dit :
– Le Commandant Suprême est dans ses appartements. Ne perdez pas de temps.

Le Commandant acquiesce et prend le chemin des appartements du Commandant Suprême. Arrivé devant la grande porte qu’il connaît bien, il frappe.
– Entrez, répond une voix familière.
Il entre.
L’homme au fond de la pièce se fige. Ce qu’il ressent là, c’est un lien profond, et d’une telle intensité. Il se retourne vivement et regarde l’homme resté dans l’encadrement de la porte, avec incrédulité.
– Toi ? Dans ton corps de voyage ? Comment est-ce possible ?
– Je…
– Mais ne reste pas planté là. Viens dans mes bras mon fils.
Et les deux hommes s’étreignent longuement.
Tout comme les Frigellyens, les Dalygariens ressentent le lien filial. C’est au final un lien fort répandu dans l’univers. Mais pas sur Terre.
– Je croyais t’avoir perdu. Et te voilà, en parfaite santé et guéri !
– J’ai eu de la chance. Enfin plutôt une seconde chance.
– Que veux-tu dire ?
– Tu sais que j’ai envoyé mon esprit sur Terre ?
– Oui, tu as laissé un message à cette Terrienne… Élisa c’est ça ?
– Oui. Elle était la seule autre personne à savoir piloter le corps de voyage, je devais essayer de la faire revenir.
– Tu y as laissé tes dernières forces.
– Oui, mais c’est grâce à elle finalement que j’ai obtenu un nouveau corps.

Son père hausse les sourcils et l’invite à continuer du regard.

– Père, elle a voyagé dans le temps et a raconté ce qui m’était arrivé deux mois avant que ça n’ait effectivement lieu… à deux Epsilons.

– Des Epsilons ?

– Oui, et ils ont utilisé ces deux mois pour construire un corps qu’ils m’ont proposé le soir où je suis allé sur Terre. Je sentais que je n’avais plus de forces. Je me suis laissé happer par ce corps et je suis resté inconscient quelques temps.
– Alors comme ça tu as un nouveau corps.
– Oui.
– Terrien.
– Oui.
– Et que vas tu faire maintenant ?
– Je ne sais pas. Ce corps humain est… déroutant. Les émotions y sont… décuplées. Mais je… Je…

– Tu es vivant. Et cette Elisa avait déjà réchauffé ton coeur, mon fils. Tu l’as emmenée nager au bassin de la Grande Cascade. Jamais tu n’as emmené quiconque là-bas. C’était là où tu allais avec ta mère. Là où elle t’a appris à plonger de la passerelle, et là où tu vas quand tu as besoin d’apaiser ton esprit. Tu croyais vraiment que je ne savais pas où tu allais quand tu disparaissais toute une matinée ?
Le Commandant sourit et répond :
– Elle avait besoin d’apaiser le sien.
– Tu sais qu’elle est venue hier. Et après son audition, je suis allée consulter son échantillon de mémoire. Je voulais en savoir plus sur la femme à laquelle mon fils avait confié l’avenir de notre planète. Tu sais ce que j’ai vu… et je sais ce que tu as fait.
– Je…
– Je n’ai pas terminé. Je suis un homme qui vieillit vois-tu et il m’arrive d’être maladroit. J’ai malencontreusement endommagé l’enregistrement. Plus personne ne pourra le consulter. J’admire l’aplomb que tu as eu devant le Grand Conseil, mon fils. Et cette fille doit être bien exceptionnelle pour que les deux esprits les plus brillants de cette planète se soient mis en quatre pour l’aider à rentrer chez elle sans qu’on touche à sa mémoire.
Il lève la main alors que son fils essaie une fois de plus de répondre.

– Je n’ai toujours pas fini. Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers a été auditionné lui aussi, et il a raconté avoir récupéré la pilule que la Terrienne n’a pas prise et avoir aussi caché sa capacité à utilisé le corps de voyage. Il a ajouté que tu avais cherché à la joindre après qu’il t’ait tout raconté.
– Mais c’est faux…
– Si nous devions suivre la loi telle qu’elle est aujourd’hui, cela devrait lui valoir un renvoi de son travail et un exil à l’autre bout de la planète.
– Je ne peux pas laisser faire ça. Je dois être entendu moi aussi.
– Tu le seras. Et tu ne diras rien.
– Père…
– Mon fils, la loi va être changée. Et comme toutes nos lois sont applicables à partir du lendemain du levé de l’anneau d’or de l’année en cours, Étoile Scintillant dans immensité de l’Univers n’aura commis aucune faute finalement. Il est inutile que le Grand Conseil soit mis au courant d’une autre version. Ça n’aidera ni Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers,  ni personne d’autre sur cette planète. Tu as fait un choix en conscience mon fils. Ça n’a pas dû être facile. Ne gâche pas tout par vanité.
Nous devions changer cette loi, nous n’avons que trop tardé. Cette Terrienne, par ses actes a déjà fait sauté le dernier bastion de résistance au sein du Haut-Conseil. J’en ai eu l’assurance. Les moyens dont nous disposons aujourd’hui nous permettent de meilleures évaluations. Nous devrons étudier chaque cas qui se présentera à l’avenir, s’il s’en présente d’autres. Je suis certain que ta mère aurait approuvé.
– Elle me manque tellement.
– Je sais mon fils, je sais. Elle me manque énormément à moi aussi.
Le silence s’installe quelques instants. C’est le Commandant qui reprend la parole.

– Père, il y a autre chose que je voulais te dire. Je… Enfin nous… Elisa, elle m’a reconnu. Elle m’a vu dans ce corps humain et elle a su qui j’étais.
– Oh elle ne s’est pas contentée de réchauffer ton cœur alors, elle l’a aussi ouvert. Et on dirait que tu t’es laissé faire mon fils. Le lien se tisse à deux.
– Père, j’étais… presque mort. Et je me réveille dans un corps avec des sensations si… nouvelles. Une des premières choses que les Epsilons m’ont dit, c’est qu’ils attendaient le retour d’Élisa partie chercher l’étoile du matin. Ils m’ont dit qu’ils avaient la certitude qu’elle ne reviendrait pas dans son époque avant d’avoir réussi. Et là-dessus je n’avais aucun doute.  Je suis même certain qu’elle a raccourci au maximum le temps entre le moment où elle est partie et celui où elle est revenue. C’est ce que j’aurai fait moi aussi…
– Tu lui as confié le sort de notre planète mon fils. Tu ne l’aurais pas fait si tu n’avais pas cru en elle.
– Père, elle est tellement… déroutante. Capable d’une grande maturité, comme aux entraînements et si enfantine parfois. Mais quand les Epsilons ont ouvert la porte et que je l’ai vue, j’ai tellement eu envie qu’elle me reconnaisse.
– Ton coeur a parlé, mon fils. Tu ne peux que l’écouter.
– C’est ce que j’ai fait… mais tout arrive si… vite.
– Tu n’as jamais pensé qu’à ton travail mon fils. Tu t’y es jeté corps et âme. C’est comme ça que tu as choisi de soigner ta peine. Mais ton cœur avait besoin de chaleur. Et tu l’as fait taire pendant si longtemps. Tu n’as pas pu l’ignorer cette fois-ci. Tu occupes un corps étranger sur une autre planète après avoir failli mourir. Alors vis enfin mon fils. Tu as suffisamment attendu… Cette Élisa, tu devrais me la présenter.
– Quoi ?
– J’aimerais parler avec elle.
– Tu veux qu’elle reprenne ce corps ?
– Non, je vous voir tous les deux, ensemble.

Annie

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