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Chapitre 4 – A propos de Sylvestre et de Paul – Partie 2

Après avoir profité du coucher du soleil à partir de la grande terrasse, Élisa et le Commandant se dirigent vers la salle d’arme où Nori et une jeune femme qu’ils ne connaissent pas sont en train de se mesurer.
– Abina, tu ne vides pas assez ton esprit. Tu réfléchis trop, lui dit Nori.
– Je le sens bien, Nori. Mais j’ai beaucoup de mal à me contrôler. Je…
Abina s’interrompt en voyant Élisa et le Commandant approcher.
– Abina, je te présente Élisa et David. Ce sont des invités du Roi et de la Reine.
– Enchanté, fait Élisa.
– Bonjour, dit le Commandant. Nous ne faisons que passer, la salle d’armes est sur notre chemin, précise-t-il.

– Mais puisque nous sommes-là, Nori, peux-tu nous dire où logent Paul et Sylvestre ? demande Élisa.
Nori ne se fait pas prier pour expliquer au deux jeunes gens comment trouver leurs amis.
– Ça ira ? leur demande-t-il à la fin.
– Oui, tout est parfaitement clair, répond le Commandant. Nous allons les trouver facilement. A très bientôt.
Élisa et le Commandant poursuivent leur chemin.
– C’est la porte de Sylvestre si j’ai bien compris, dit Élisa. Tu ne veux vraiment pas venir avec moi ?
– J’aimerai parler à Paul, et j’ai aussi la certitude que Sylvestre sera plus en confiance avec toi seule qu’avec nous deux…
– C’est possible. A plus tard alors.

Puis elle frappe à la porte, alors que le Commandant s’éloigne.
– Entrez ! répond la voix de Sylvestre.
Lorsqu’il voit qui passe la porte, un large sourire s’affiche sur le visage de Sylvestre.
– Je suis ravi que tu passes me voir. Je n’ai pas réussi à dessiner depuis que je suis revenu dans ma chambre.
– Sylvestre, tu sais que de Dalygaran, j’ai ramené quelques capacités… et parmi elles, celle de ressentir ce que les gens autour de moi ressentent. Ton cœur est rongé de tristesse.
Sylvestre baisse la tête et reste silencieux un instant. Puis, d’une voix lente et à peine audible, il confie :
– Paul et moi, nous vivons ensemble depuis plus de 25 ans. Et il est la seule personne avec laquelle j’ai jamais vécu en fait. Et tout ça va bientôt se terminer.
– Pourquoi ?
– Nous sommes partis dans le passé pour trouver quelqu’un et nous l’avons trouvé. Notre mission est terminée en quelque sorte. Tu l’as bien vu. Il est passé à autre chose. Il s’entraine avec Nori, il commence une autre vie.
– Mais puisque vous n’avez plus à chercher qui que ce soit, vous allez tous les deux commencer une nouvelle vie. Ça ne veut pas dire forcément l’un sans l’autre…
– J’ai toujours été un fardeau pour lui. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment compris pourquoi il a accepté de venir avec moi au final. Pour moi c’était simple, c’était la seule personne sur Terre que je connaissais vraiment. Je ne savais pas à qui d’autre demander. Je n’ai jamais eu d’amis au centre d’éducation. Là-bas, j’ai toujours été… à part et très seul. Aujourd’hui, j’ai la sensation que cette vie-là à nouveau m’attend.
– Tu as fait part de tes craintes à Paul ?
– Pour qu’il se moque de moi ?
– Pourquoi se moquerait-il de toi ?
– Il ne m’a jamais aimé…
– Voyons Sylvestre, il est resté à tes cotés pendant plus de 25 ans tu m’as dit…
– Parce qu’il voulait trouver la personne qui nous rendrait notre humanité. Pas pour moi.
– Mais il n’a jamais envisagé de le faire sans toi.
– Que veux-tu dire ?
– Qu’il a choisi de rester avec toi gros bêta. Paul est rude, ça je le sais. Mais je sais aussi que jamais il ne se serait donné la peine de rester avec quelqu’un qu’il n’estimait pas. Si au bout de 25 ans il est toujours avec toi, c’est parce que tu es important à ses yeux. Et pas plus tard que tout à l’heure je l’ai ressenti.
– C’est vrai ?
– Oui, tu comptes beaucoup pour lui. Je pense que tous les deux vous devriez vous parler…

Pendant que cette conversation se déroulait entre Élisa et Sylvestre, une autre conversation avait lieu entre le Commandant et Paul.
– Paul, j’aimerai savoir pourquoi vous avez été désigné pour voyager dans le temps avec Sylvestre. Les voyageurs du temps terriens sont en général de sexes opposés.
– On peut dire que vous n’y allez pas par quatre chemins, Commandant.
– David.
– Oh David, j’ai pourtant bien l’impression que c’est le militaire que j’ai en face de moi.
– Je n’y peux rien, c’est ce que je suis. Mais je suis aussi votre ami.
– Je sais ce que signifie l’amitié pour quelqu’un comme vous.
– Quelqu’un comme moi ?
– Droit et sans chichi.
– Oh. C’est donc comme ça que vous me percevez.
– C’est comme cela que vous êtes.
– J’étais venu parler de vous, pas de moi.
– Écoutez David. J’ai 50 ans. J’arrive à un âge où ma croissance rejoint celle des humains du même âge que moi. Je vais vieillir aussi vite qu’eux maintenant. Lorsque j’ai fait la connaissance de Sylvestre, j’avais 24 ans, 24 ans de presque-humains. Nous vieillissons très lentement les premières années de notre existence. Nous devons cela à une petite astuce génétique. Sylvestre et moi n’avons pas été envoyé en mission. Il n’y avait plus rien à savoir de la période charnière des débuts du voyage dans le temps de toute manière. Il s’agissait d’une évaluation. C’est pourquoi, la règle du couple de sexe opposé n’a pas été respectée. Les missions ne sont de toute manière jamais aussi courtes. En général on part pour un minimum de 5 ans.
Quand j’ai eu 10 ans, on a jugé que mes capacités étaient adaptées à celle d’évaluateur. Je savais analyser et décrypter ce que je voyais. Mais je n’ai jamais aimé ce métier. On vous donne des jeunes recrues et vous devez dire si elles sont aptes ou non au voyage dans le temps. Au bout de quelques années, j’ai demandé à changer d’affectation et partir en véritable mission. Cela m’a été accordé. Et je suis parti avec Nelly, pendant 10 ans. C’était la première fois de ma vie que je me posais vraiment avec quelqu’un. Je me suis attaché. A ma manière, je crois que je suis tombé amoureux. Mais Nelly et moi, on n’a jamais été capables de s’aimer vraiment. Ça restait très infantile. Nelly ne l’a pas supporté. Au bout de 9 ans, elle a commencé à me rejeter. Les choses se sont envenimées entre nous et un an après elle s’est carrément enfuie pour demander un autre partenaire. J’étais blessé. Et je suis rentré dans notre monde. Comme je n’avais plus de partenaire de mon âge, les humains en ont profité pour me redemander d’être évaluateur. J’ai passé mes nerfs sur Sylvestre. Il réagissait peu. Et ça m’a intrigué. Sylvestre avait pris l’habitude d’être rejeté. Il était différent. Je me suis rendu compte très vite qu’il souffrait du syndrome du ralentissement. Il y a un petit pourcentage de presque-humains dont le développement psychique est ralenti en même temps que le vieillissement physique. Sylvestre a réussit à faire de cette lenteur quelque chose d’extraordinaire. Il prend son temps pour décortiquer tout dans les moindres détails. Il est d’une minutie incroyable. Mais je savais une chose, c’est que mon évaluation se ferait en salle de vérité et je ne pourrais cacher le syndrome dont il souffrait. Ça lui aurait valu d’être réformé.
– Que voulez-vous dire par « réformé » ?
– Il aurait été déclaré inapte à voyager dans le temps, David. Ils l’auraient mis dans un asile. Les presque-humains sont créés dans un seul but : devenir voyageurs du temps. Si on les déclare inapte à voyager, ils n’ont aucune autre place dans la société humaine, ils sont considérés comme inutiles et on les enferme dans un centre pour dysfonctionnels. Sylvestre n’aurait pas survécu à ça. Et pourtant je vous assure David, c’est le garçon ne plus doué que j’ai jamais rencontré.
– Alors c’est pour ça que vous vous êtes enfui à votre tour, pour ne pas avoir à faire votre évaluation.
Oui, je n’ai pas été convaincu par Nelly de rejoindre les clandestins. Je voulais trouver une solution pour Sylvestre. Avec ma disparition, il n’était qu’en sursis. On lui aurait affecté un autre évaluateur. Alors lorsque j’ai appris qu’il me recherchait pour partir dans le passé, j’ai pensé que c’était l’occasion de le sortir de cette époque qui ne saurait jamais reconnaître ses talents. Et je suis parti avec lui. J’avais été tellement dur avec lui pendant l’année qu’on avait passé ensemble qu’on est resté très distant l’un avec l’autre. Peu m’importait. De toute manière, j’hésitais à m’attacher de nouveau. La distance qui s’était installé entre nous m’allait très bien. Ma satisfaction a été de voir son inventivité se développer. Ce gars est un véritable artiste. Et je ne parle pas de ses tableaux – que j’apprécie aussi par ailleurs. Il a été capable d’inventer des tas d’outils d’avant garde, avec les matériaux de la Terre du XXVe siècle. Travailler avec lui est un véritable plaisir.
Paul fait une pause. Le Commandant en profite pour glisser :
– Sylvestre semble extrêmement triste en ce moment. Vous savez pourquoi ?
– J’ai remarqué ça moi aussi. Je suppose qu’il s’imagine que maintenant que nous avons trouvé la personne que nous cherchions, tout va changer. Il a toujours été quelqu’un de très angoissé. Je crois que je devrais lui parler. Je n’ai jamais su lui dire à quel point je tenais à lui. Mais je ne veux pas qu’il sache pour l’évaluation. Je ne veux pas qu’il sache que son monde l’aurait rejeté.
– Je vous fais la promesse qu’il ne l’apprendra jamais par moi.
– Je sais que je peux compter sur vous Commandant.
– David.
– Oui David, répète Paul en souriant.

Plus tard, alors qu’Élisa a pris congé de Sylvestre, c’est Paul qui vient frapper à sa porte.
– Entrez, dit Sylvestre.
C’est avec étonnement qu’il voit la porte s’ouvrir sur Paul.
– Il faut qu’on parle, dit celui-ci.
– Je ne sais pas si…
– Sylvestre tu vas m’écouter. Ce que j’ai te dire est très important. Toi et moi, ça fait des années que nous vivons ensemble.
– Je suis au courant… répond celui-ci sèchement.
– Bon sang Sylvestre, ne me rend pas les choses difficiles.
– Qu’est-ce qu’il y a de si difficile ? Tu veux passer à autre chose ? Bon vent !
– Sylvestre, on va tous les deux passer à autre chose. Je ne sais pas de quoi mon futur sera fait, mais je suis sûr d’une chose : tu en feras partie.
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Je dis, qu’il n’y a aucune raison que les choses changent entre nous.
– Je ne comprends pas.
– Tu crois vraiment que j’aurais pu passer plus de 25 ans à tes cotés si je ne t’avais pas apprécié ?
– Tu n’en a jamais rien montré.
– J’ai pensé que ça n’était pas nécessaire.
– Ça l’était.
– Je l’ai compris aujourd’hui. Je suis désolé. Notre vie se déroulait si tranquillement. Tu as pu développer tes capacités extraordinaires d’inventeurs. De mon point de vue, c’est tout ce qui comptait. Tu t’es épanoui au XXVe siècle Sylvestre. Tu es devenu un sacré personnage.
– Alors au final tu as de l’affection pour moi ?
– Bien évidemment gros bêta.
– C’est la deuxième fois que je me fais traiter de gros bêta aujourd’hui…
– Laisse moi deviner : Élisa ?
– Tu sais qu’elle est venue ?
– Non, c’est juste son type de langage à elle aussi.
Sylvestre enfin sourit.
– Je… Je me sens un peu stupide…
– Il ne faut pas. Je n’ai jamais été très tendre avec toi. Mais tu sais, aujourd’hui, je serais prêt à aller très loin, pour te prouver que tu comptes pour moi.
Sylvestre hausse les sourcils semblant dire « vraiment ? ».
Paul s’approche de lui, met la main sur sa joue et l’embrasse doucement. Puis il fait un pas en arrière. Sylvestre le regarde, deux doigts sur ses lèvres, ses yeux dans ceux de Paul et les deux hommes tout à coup éclatent de rire.
– Définitivement, ce n’est pas pour nous, dit Sylvestre.
– Première et dernière fois, je te promets, s’esclaffe Paul. Je préfère te voir comme un petit frère finalement.
– Ça me va. Tu peux continuer à être imbuvable.
– Je n’étais pas imbuvable.
– Si.
– Rappelle moi pourquoi je suis venu ici ?
– Tu voulais me parler.
– Ah oui.
– Mais tu m’as embrassé.
– Et si on oubliait ça, d’accord ?
– Ça ne peut pas s’oublier.
– Sylvestre…
– Je n’en parlerai à personne, pas même à Élisa.
– Promis ?
– Promis, frérot.
Et Sylvestre lève la main droite comme s’il était à la Cour.
– Il faut qu’on y aille maintenant. On est en retard pour le diner, dit Paul en lui donnant une petite tape derrière la tête.
– Eh oh, frérot, tu crois vraiment que tu peux faire ça ?
– Tu m’as donné l’autorisation d’être imbuvable.
– J’aurai du me taire.
– C’est clair, et ne m’appelle pas frérot.
Et les deux hommes sortent de la chambre en riant.

Annie

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