Ce qu’Élisa et le Commandant pouvaient ressentir de l’état d’esprit de Reymo n’était que de la tristesse, avec une petite pointe de colère.
– Il y a quelque chose de cassé entre nous deux, murmure-t-il. Nous ne sommes plus le formidable tandem qu’on était autrefois. Je ne la comprends plus. Elle m’a laissé un mot. Elle ne veut pas que je la recherche. Je ne peux pas obéir à cette injonction. Mais la vérité, c’est qu’elle a disparu sans laisser de trace. Je n’arrive pas à la retrouver.
– Moi, je peux, répond doucement Élisa.
– Tu es enceinte : tu ne peux pas voyager comme tu le fais d’habitude… réplique Reymo.
– Je n’ai pas besoin de prendre une pilule pour que mon esprit voyage. Je suis venue ici parce que mon esprit se balade pendant mon sommeil. Si je peux le faire quand je dors, je peux sans doute le faire aussi à n’importe quel moment. Je dois juste trouver comment. En gros, quand ma conscience baisse la garde, mes émotions agissent comme un déclencheur et libèrent mon esprit, pour satisfaire ma curiosité ou mettre fin à mes angoisses. Je pourrais essayer le levier inverse… enfin me libérer de mes émotions pour prendre le contrôle son mon esprit et ses escapades. Nori m’a entrainé à la méditation. Je vais essayer ça…
Élisa peut sentir l’intérêt passer dans l’esprit de son mari. Il semble agréablement surpris de sa proposition. Soulagé même.
– Oh Élisa, j’espère que tu y arriveras. Voyager te manque tellement…
Elle le surprend à nouveau en répondant :
– On a tous les deux besoin de décompresser.
Le Commandant lève les sourcils, songeant que c’est effectivement l’anxiété qui avait dû le conduire à suivre son épouse dans ses escapades de nuit. Il voit bien qu’elle se sent prisonnière de son corps, et en éprouve de l’angoisse pour les jours ou plutôt les mois à venir. Élisa a besoin d’action. C’est ce que le Commandant Cristal de Lune avait décelé en elle ainsi que sa soif d’apprendre et de découvrir de nouvelles sensations. Elle adore ça.
Pour ce qui est des sensations nouvelles, on peut dire qu’Élisa en découvre tous les jours depuis qu’elle est enceinte, mais elle ne peut effectivement s’empêcher de vouloir autre chose, comme s’échapper de la cage de son corps humain, ne serait-ce que pour un instant, même très court, et expérimenter les formidables sensations Dalygariennes que lui procure son corps de voyage.
La motivation d’Élisa pour arriver à faire voyager son esprit par sa seule volonté est désormais sans limites. Elle n’envisage même pas d’échouer. Elle essaiera jusqu’à y parvenir.
– Allons dans notre chambre dit-elle à son mari. Je m’assiérai sur le lit. Dès mon esprit s’échappera, tu n’auras qu’à m’allonger avant que je ne m’affaisse. Reymo, on va trouver Mira, je te le promets.
Et elle s’en va avec le Commandant dans la chambre qui leur est réservée dans le Château. Lorsqu’ils sont sur place, Élisa va immédiatement s’asseoir en tailleur au milieu du lit. Le Commandant sait qu’il n’a rien d’autre à faire qu’attendre. Après une dizaine de minutes, Élisa ouvre les yeux.
– Je n’arrive pas à me détendre. Ton attente me perturbe…
– Oh, je suis vraiment désolé. Je pourrais peut-être essayer de contribuer à ta relaxation.
Et il s’assoit en tailleur face à elle, lui prenant les mains.
– Tout ce que tu vas recevoir de moi maintenant c’est de l’amour et de la confiance. Tu peux te relaxer. Je garde un œil sur toutes les deux, dit-il, en pointant le menton sur son ventre. Tu vas trouver Mira. Essaie encore une fois.
Le Commandant fait exactement ce qu’il vient de dire et Élisa se nourrit de toutes les ondes positives qu’elle reçoit, jusqu’à ce qu’elle se sente parfaitement bien. Au moment où son corps est sur le pont de basculer, le Commandant comprend qu’elle a réussi. Son esprit n’est plus dans son corps et rapidement, il ne sent plus sa présence. Elle est partie. Il l’allonge délicatement sur le lit, et se couche à côté d’elle, afin d’offrir à sa fille un moment d’amour Dalygarien. Il aurait aimé pouvoir ronronner, mais il sait que malgré tout, la vie qui grandit à l’intérieur du ventre d’Élisa peut sentir l’amour qu’il lui envoie.
Élisa est bientôt de retour et lui murmure un « merci ».
– Tu l’as trouvé n’est-ce pas ?
– Oui, c’était facile. Elle n’a pas changé d’époque. David, j’aimerais lui parler… seule.
– Notre transporteur est toujours dans le hall d’entrée. Tu n’as qu’à le prendre. Dois-je dire quelque chose à Reymo ?
– Dis-lui juste que je l’ai trouvée.
– Rien d’autre ?
– David, je dois vraiment lui parler d’abord.
Élisa est reconnaissante à son mari de ne pas poser plus de questions.
Quand Mira comprend qui se matérialise devant elle, elle est contrariée.
– Pourquoi ne peux-tu pas simplement disparaître de ma vie ? crie-t-elle presque.
– Parce que tu as créé la mienne, répond calmement Élisa.
– Eh bien, je n’aurais sans doute pas dû.
– Mira, tu as chois cet endroit, la dernière pièce où nous avons parlé ensemble, lorsque tu prétendais m’avoir enlevée… le jour où tu m’as dit la vérité sur mon origine…
– Je n’aurais jamais dû interférer dans une vie humaine…
– Tu as donnée du bonheur à mes parents. Tu leur as épargné un chagrin de plus.
– Et j’ai ruiné ma propre vie, en donnant tout ce que j’avais à mon travail. J’ai ruiné celle de Reymo en ne lui donnant pas l’enfant qu’il voulait tant. Ma vie n’a aucun sens. Je me sens vide.
– Mira, tu te souviens quand je suis venue sur Frigellya la première fois ? J’étais triste et en colère comme tu l’es aujourd’hui. Tu m’as aidée. Tu te souviens ?
Mira ne répond pas et Élisa continue.
– C’est grâce à toi que j’ai réussi à tout faire sortir, et à Nori que je me suis reconstruite. Je ne te dois pas seulement la vie, mais aussi une partie de ce que je suis devenue aujourd’hui.
– Tu ne me dois rien…
– Que ça te plaise ou non, c’est la vérité. Et je n’aurais rien eu de ce que j’ai aujourd’hui, si tu n’avais pas pris un jour cette décision de me faire vivre. Je t’en suis fort reconnaissante.
– Ça ne semblait pas être le cas, la dernière fois.
– J’étais sous le choc. C’étaient des révélations inattendues. Mais tu sais, peu importe comment chacun d’entre nous a pu naitre. Regarde, Paul et Sylvestre, ils sont de pures créations. Ils n’en veulent à personne d’être nés. Ils auraient juste voulu être complets dès le départ. Et regarde-moi. J’ai tout ce qu’un être humain peut rêver. Tu as fait un excellent travail. Je suis pleinement fonctionnelle.
– Tu l’es. Mais pas moi.
– Je sais que tu l’es aussi. Tu peux me croire.
– Je ne le suis pas.
– Mira, tu n’écoutes pas, tu es si bornée.
– Vraiment ? Tu te prends pour qui ?
– Pour celle qui va t’ouvrir les yeux.
– Ca c’est de la vanité.
– Je suis juste aussi têtue que toi. Mira, j’ai vu le futur. Le futur de plein de gens.
– Je ne veux pas que tu me dises mon futur.
– Je veux que tu aies confiance en lui. Tu en as un bon. Tu n’as pas besoin de vivre dans la peur de…
– … devenir un de ces monstres sur la corde raide ? Je sens que c’est en train de venir, Élisa. Je l’ai tellement combattu pendant toutes ces années. Mes forces s’affaiblissent. Je ne veux pas que Reymo me voit quand ça arrivera.
– Ça n’arrivera jamais.
– Je sais comment je me sens. Je sais ce qui est en train de se passer. Même si la cure fonctionne, je ne veux pas que Reymo me voie dans cet état. Et toi non plus. Va-t’en, avant que je ne devienne vraiment dangereuse.
– Ça n’arrivera jamais.
– Comment peux-tu en être aussi sûre ?
– À cause de ça.
Élisa sort une seringue de sa poche, et enfonce l’aiguille dans le bras de Mira.
– Qu’est-ce que tu as fait ?
– Je viens de te donner la vie que tu mérites, celle où tu ne deviens jamais un de ces montres. Reymo ne te verra pas dans cet état. Jamais.
– Où as-tu eu cette seringue ?
– Dans le futur. Le futur de Frigellya.
– Comment oses-tu utiliser une technologie du futur pour guérir quelqu’un du passé ?
– Dit la femme qui a transformé un être humain avec une technologie extra-terrestre du futur lointain.
– C’est pour ça que tu as fait ça ?
– Je l’ai fait parce que je savais des choses que je n’aurais pas dû. Tu n’as plus besoin de menottes et d’alarme.
– Comment tu sais ça ?
– Mes voyages nocturnes. Des nouveaux. J’utilise l’inhibiteur depuis un mois, mais ils ont repris le dessus la semaine dernière. Je ne me réveille plus en criant maintenant. Sauf ce matin. C’était parce que je n’étais pas seule. Je ne m’y attendais pas, mais David était là lui aussi, on est allés aux mêmes endroits, et on a vu les mêmes choses. Ses émotions ont été de la même intensité que ce que j’ai ressenti la première fois. Je me suis réveillée brutalement, en même temps que lui. Mais je ne lui ai pas dit que j’avais déjà surpassé l’inhibiteur depuis quelques jours.
– Pourquoi ?
– Parce qu’il aurait fait ce qu’il a fait aujourd’hui : chercher une solution définitive à ce problème. Je n’étais plus certaine d’en vouloir une. Mais je me devais lui dire ce qui venait de lui arriver à lui. J’avais senti qu’il était impliqué, avant même qu’il n’ouvre la bouche…
– Et vous m’avez vu ?
– Pas nous… moi. Sur une semaine, crois-moi, j’en ai tellement vu. Je sais que tu as pris des menottes pour t’attacher probablement à un de ces barreaux quand tu seras certaine d’être sur le point de devenir définitivement malade. L’alarme, c’est pour prévenir les autorités que tu es ici. Tu as parfaitement conscience de la menace que tu représentes. Tu ne peux pas prendre le risque de devenir une rebelle.
– Tu savais que j’étais ici ?
– Je ne l’ai pas vu pendant mon sommeil, mais j’ai entendu quelqu’un en parler. J’ai juste vérifié avant de venir.
– Tu as vérifié ?
– Voyager en dormant n’était pas satisfaisant. Je ne peux pas choisir où je vais. Ce sont mes émotions du jour qui me guident et ma curiosité.
– Un sacré cocktail explosif.
– Mira !
– Quoi ?
Élisa soupire bruyamment.
– Il fallait que je trouve comment voyager sans pilule juste par la volonté. J’y suis arrivée avec l’aide de David. Et je t’ai cherchée.
– David t’a aidée ?
– Il sait que voyager est très important pour moi.
– Comment t’es-tu procurée cette seringue ?
– Je ne suis pas sûre que tu veuilles savoir.
– Si, je le veux.
– Je l’ai… volée.
– Tu as fait quoi ?
– Eh bien, tu sais combien les découvertes du futur et les technologies sont bien gardées de la curiosité du passé. Mais je ne suis pas un esprit ordinaire : pas vraiment Terrien, ni vraiment Frigellyen et un peu Dalygarien. Je suis passée au travers de vos systèmes de sécurité. J’ai eu du temps pour observer comment entrer dans vos centres de recherche sans laisser de trace. Et tu n’imagines pas à quel point je me souviens clairement de mes escapades nocturnes. Je n’ai eu qu’à simplement revenir avec un transporteur, et faire ce que j’avais à faire. J’ai quitté la Terre à peu près 5 minutes, mais en fait, ça m’a pris une journée entière. J’étais très fatiguée quand je suis revenue. David a pensé que j’étais malade, quand en vérité j’étais épuisée d’avoir dû jouer à cache-cache toute une journée avec le personnel du centre.
– Que se serait-il passé si tu avais été prise ?
– Je ne l’ai pas été.
– Tu as eu de la chance.
– J’étais très bien informée et prudente. La connaissance est le meilleur allié entre tous.
– Tu as pris des risques inutiles.
– Je ne suis pas d’accord. J’ai pris des risques calculés. Comme ceux qui tu as pris en choisissant de me faire vivre. J’ai eu l’opportunité de faire ça pour toi. Et je l’ai fait sans hésitation.
– Tu es enceinte.
– Oui, je sais, répond Élisa en criant presque. Je l’étais déjà quand tu m’as « kidnappée ».
– Il n’était pas nécessaire de me le rappeler.
– Vraiment ? Alors parlons grossesse, maintenant. Tu te sens coupable de m’avoir impliquée dans cette opération contre les rebelles.
– C’est faux.
– Oh Mira, je te l’ai dit. Je sais des choses que je ne devrais pas. Tu attaches une grande valeur à la grossesse. Tu penses que David avait raison d’être en colère que tu m’aies entrainée dans cette mission, vu mon état. Ça t’a plus secouée que tu ne l’admettras jamais devant moi… ou lui. Et ça a rouvert une vieille blessure. Il n’y a pas que Reymo qui désire un enfant. Toi aussi, désespérément…
– Ne sois pas stupide.
– Je ne le suis pas. Tu es simplement terrifiée à l’idée de revivre une perte douloureuse. Tu feras tout pour éviter ça. Mais écoute-moi maintenant : tu n’auras jamais d’autre mort-né. Vie la vie que tu veux Mira. Va rejoindre Reymo et parle-lui. Il comprendra.
– Tu es sûre de ça. Je l’ai rejeté, depuis cette mission.
– Il est déterminé à te reconquérir. Et ça, je ne l’ai pas vu dans le futur. C’est ce que j’ai ressenti quand je lui ai dit que j’allais te retrouver. Tu peux me croire.
– Je te crois. Tu ne mentirais pas là dessus… Je… Merci.
– À ton service.
– Je peux te poser une question ?
– Bien sûr.
– Est-ce que tu vas parler à David maintenant de tes autres voyages ?
– Non. J’ai besoin de faire mes propres expériences. Et il va suffisamment être contrarié par ce qu’il va apprendre. Ces quelques balades nocturnes ne sont rien à côté.
– Vraiment ?
– Oui, répond Élisa, avec une pointe de mystère dans la voix. Je préférais que ce soit lui qui l’apprenne en premier…
– Je comprends.
Élisa se tait un instant. Elle veut dire à Mira quelque chose d’important, et cherche les bons mots. Elle dit finalement :
– La connaissance du futur est quelque chose de sensible. J’ai vraiment conscience de ça. Mais aujourd’hui je me rends compte que j’en ai tellement l’habitude…
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Pour mes parents, j’étais une enfant à l’imagination sans limites. Mon père m’a envoyé un dossier récemment. Tous mes dessins entre 3 et 6 ans. Je leur avais dit que c’étaient mes rêves. Et un jour, ils ont subitement arrêté. Après ça, je n’ai eu que des rêves stupides que je refusais de dessiner. Parmi les fichiers qu’il m’a envoyés, j’ai reconnu le monde souterrain de Minuit. C’est l’interprétation d’une gamine, mais il y a des détails indiscutables. Mais plus encore, j’ai dessiné ce qui semble être un Dalygarien sans cheveu, et quelques taches remarquables autour des yeux. C’était qui selon toi ? J’ai vu mon futur quand j’étais enfant, pendant que je dormais. J’en suis certaine. Et un jour, ça s’est juste arrêté. Mon dernier dessin notable n’a pas été un rêve, mais une rencontre. Maman m’a dit qu’un jour, alors qu’elle m’avait emmenée au parc, que j’avais inventé une dame. J’ai dit à maman qu’il n’y avait que moi qui pouvais m’en souvenir. Et tu sais quoi ? Cette dame, elle avait la même tache que toi dans le cou, et aussi une paire de boucles d’oreilles très particulières. Ce n’était pas deux fois la même chose. Pour un côté, il y avait la lune, et pour l’autre le soleil.
– Je n’ai pas des boucles de ce genre. C’est Terrien.
– Tu n’es pas enceinte non plus.
– Quoi ?
– La femme que j’ai vue était assurément enceinte d’après le dessin. Ces mémoires sont lointaines. Mais elles expliquent quelque chose que je n’arrivais pas à exprimer, comme si toutes les choses bizarres qui m’étaient arrivées ces dernières années étaient normales. Comme une sorte de déjà vu. C’était si confus. Je comprends pourquoi maintenant.
Élisa sourit, devinant la question que Mira est sur le point de poser.
– Oui, David a vu tous ces fichiers et il est d’accord avec mes conclusions. On se demande comment j’ai pu le voir sans qu’il ne ressente ma présence. Notre hypothèse c’est que c’était pendant que j’étais là-bas. Et comme je suis la même personne, mon esprit adulte a maqué celui de l’enfant qui observait.
– Intéressant.
– Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de moi aujourd’hui, mais de toi.
– Tu n’abandonnes jamais.
– Tu as souri.
– Je me rends. Ce que tu m’as dit sur mon propre futur m’a redonné espoir.
– Je suis contente que tu aies changé d’avis. Peut-être que maintenant, nous allons pouvoir parler des… euh… effets secondaires.
– Quoi ?!
– Le traitement. Tu vas être malade pendant à peu près une semaine… ou deux.
– À quel point ?
– Des nausées, et des vomissements.
– Dois-je prendre ça comme un entrainement pour ma future grossesse ?
Élisa rit et dit :
– Tu es prête.
– Pour quoi faire ?
– Rentrer à la maison.
Mira répond d’un sourire léger.
– Je ne savais pas que les femmes Frigellyennes partageaient ce genre de tracas avec les Terriennes, les nausées, tout ça.
– Il y a des constantes dans l’univers, et ça, il semble que c’en est une.
– Ok. J’en apprends tous les jours. On rentre au Château ?
– On rentre au Château.
Élisa atterrit dans le hall d’entrée comme d’habitude.
– Mira, murmure Reymo, en ouvrant grand ses bras.
– Il est ici depuis qu’il a découvert que tu étais partie. Il était sûr que tu la ramènerais, chuchote le Commandant dans l’oreille d’Élisa.
Mira hésite. Elle jette un regard à Élisa et au Commandant, puis fixe son mari intensément. Soudain, elle se met littéralement à courir pour se jeter dans ses bras.
– Pardonne-moi, murmure-t-elle.
– Ne refais jamais ça, implore-t-il, faisant un pas en arrière pour prendre Mira par les épaules et la regarder droit dans les yeux.
– C’est promis.
Et ils s’enlacent à nouveau.
– Hem, c’est le moment de dire au revoir, n’est-ce pas David ?
– C’est exactement ce que j’allais dire.
Ils n’attendent pas de réponse de la part de leurs amis, et disparaissent avec leur transporteur.
– S’il vous plait, ne… partez pas… maintenant, dit Mira dans le vide.
– Ces deux-là font la paire, hein ?
– Ça, c’est certain.
Mira et Reymo commencent à rire, et s’en vont main dans la main à la recherche d’un peu d’intimité.
Élisa et le Commandant seuls à la maison
– Pas de question ? demande Élisa.
– Si tu veux que je sache ce qu’il s’est passé entre toi et Mira, tu me le diras, lui rétorque-t-il.
– Bien sûr, lui répond-elle avec un sourire. Cependant, là maintenant, je préfère te parler d’autre chose.
– Je suis tout ouïe…
– David, les fichiers que mon père nous a envoyés, ils ont déclenché quelque chose en moi. C’est comme si une boite de Pandore avait été ouverte.
– Une quoi ?
– Expression terrienne. Désolée. On parlera de Pandore une autre fois. Disons que des souvenirs de mon enfance sont en train de remonter. Les rêves de bien des années resurgissent. J’ai des flashs du futur et du passé…
– Oh.
– Ce que nous avons vécu cette nuit, c’est peut-être quelque chose que nous pouvons arrêter. Mais mes souvenirs… Ils ne peuvent être effacés. Je sais que je t’ai dit que voir le futur était un fardeau. Mais j’ai finalement compris quelque chose ces derniers jours…
– Ces derniers jours ?
– Oui, depuis que nous avons consulté ces fichiers ensemble. Ça a commencé quelques heures plus tard.
Le Commandant reste silencieux. Élisa peut sentir qu’il est contrarié.
– Voir le futur n’est pas plus troublant que ta capacité à contrôler les esprits humains. C’est juste un autre outil… basé sur la connaissance. J’ai vu et verrai des choses très perturbantes. Il faut que je vive avec maintenant. Mais ça me donne parfois une compréhension de certaines situations. Et ça peut être utile. Alors je vais te faire une promesse : je serai aussi prudente que possible avec ce que j’apprends. Et s’il arrive que je ne sache pas quoi faire d’une de ces informations, tu es celui que j’appellerais à l’aide. Ce que je ne peux surmonter seule, nous le surmonterons à deux.
Le Commandant ne dit toujours rien.
– David, tu ne peux pas me protéger cette fois-ci. Je suis face à moi-même.
– Je ne l’ai même pas vu venir. Quand on s’est rencontré la première fois, tu étais un livre ouvert. Tu étais si… humaine. Tu laissais tout sortir. Maintenant, tu contrôles ton esprit comme un Dalygarien. Je sais bien que tu es rapide, mais ça, c’est…
– … inattendu ?
Il ne donne pas de réponse.
– David, depuis que j’ai commencé les voyages spatiotemporels, j’ai du apprendre vite, avec et sans toi. Mon esprit est comme une éponge… et mon corps — quand je suis dans le corps de voyage — a des capacités physiques extraordinaires. Et le plus important, j’ai des aptitudes extraordinaires, et peu importe les inconvénients qui vont avec. Comme les pièces ont deux faces, ces aptitudes ont deux faces elles aussi. Et c’est pareil pour toi. Nos vies vont être compliquées parfois, mais on a tout ce qu’il faut pour faire les bons choix pour notre monde et ceux qui sont autour de nous.
– Et parfois aussi pour faire les mauvais.
– Nous devons nous faire confiance.
– Les doutes sont nos meilleurs amis.
– Je sais que tout est une question d’équilibre.
– Élisa, j’ai mis ça en pratique pendant des années. C’est si dur à porter parfois…
– Mais c’est faisable. Je n’ai pas ton expérience David, mais toi non plus tu ne l’avais pas à tes débuts.
– J’ai commis d’énormes erreurs.
– En tant que militaire Dalygarien ?
– Oui.
– Mais tu n’as pas laissé tomber. Tu ne t’es pas enfui. À la place tu es devenu Commandant en Chef.
Le Commandant se tait encore une fois. Les expériences, bonnes ou mauvaises, ont construit l’homme qu’il est aujourd’hui. Il ne peut le nier. Il aurait voulu pouvoir épargner Élisa certaines déceptions. Il l’aurait fait. Mais il peut sentir son besoin d’indépendance. Elle est sa femme, et certainement pas le genre de personne qui fait toujours ce qu’on lui dit de faire. C’est l’instinct qui l’anime, tout en étant attentive aux conséquences. Oui, elle commettra des erreurs, comme tout le monde, et tout ce qu’il pourra faire, c’est être à ses côtés quand ça se produira.
– David ?
– Désolé. J’étais perdu dans mes pensées.
– Je peux voir que…
– Quoi que tu aies vu, ou verras dans tes flashs, en cas de problème, souviens-toi que tu n’es pas seule, d’accord ?
– Je n’hésiterai pas si j’ai besoin d’aide. Je te le promets.
Une fois de plus, le Commandant se tait. Jamais Élisa n’a vu son mari si désemparé.
Elle s’approche de lui, met sa main sur sa joue, et l’embrasse.
– Allons là où personne ne pourra nous déranger… lui murmure-t-elle.
– Allons-y, réplique-t-il
Il la soulève du sol et l’emmène dans leur chambre. Elle laisse échapper un cri de surprise quand ses pieds quittent le sol, puis rit de bon cœur.
Il semble qu’il y avait beaucoup à évacuer, si on considère le temps qu’ils ont mis à faire l’amour cet après-midi-là. Lorsqu’ils ont fini, Élisa commence à s’habiller tout en parlant.
– David, c’était… inoubliable. Et demain, il faudra que je fasse retomber la pression à nouveau.
– Ce n’est pas un problème. On peut faire ça autant de fois que nécessaire, lui répond-il sur un ton légèrement taquin.
– Je ne parlais pas de sexe, David. Je… voudrais utiliser à nouveau le corps de voyage. Je ne peux pas y arriver sans ton aide maintenant que je ne peux plus prendre de pilule. J’ai besoin de bouger, de me défouler, et ce corps-là ne me le permet plus…
– Ah, d’accord. Tu devrais appeler Etoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers pour être sûr que le corps de voyage est disponible. Je t’aiderai à libérer ton esprit, et je tiendrai compagnie à notre enfant. Je ne la laisserai pas toute seule.
– Merci.
Les yeux d’Élisa pétillent. Cela faisait un bout de temps que le Commandant n’avait senti telle impatience chez sa femme.
– Une heure, je t’en fais la promesse. Je ne partirai qu’une heure.
Quand Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers apparaît sur l’écran du communicateur, Élisa lui explique immédiatement ce qu’elle souhaite faire.
– Tu as de la chance. Tout Premier rayon de l’Anneau d’Or et Vent de Printemps sur la Plaine Laurina sont dans le passé aujourd’hui. Mais ils ne voyagent jamais deux jours d’affilée. Je réserve les corps pour demain.
– Il n’y aura que moi. David reste ici.
– Oh ? D’accord.
– S’il te plait, réserve-moi le premier corps que j’ai essayé.
– Tu veux dire celui d’homme.
– Oui.
Après qu’elle ait terminé sa conversation avec Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, elle répond au regard interrogateur de son mari.
– Pour des exercices physiques, ce corps-là, c’est le meilleur…