Cela fait maintenant le deux jours qu’Élisa erre sur Dalygaran à la recherche de l’étoile du matin. Elle essaie de se faire la plus discrète possible. Mais elle aurait besoin d’aide. Trouver une plante à la surface d’une planète quand on ne sait pas où chercher n’est pas chose aisée.
Le Dalygaran dans lequel elle est maintenant n’est pas tout à fait le même que celui qu’elle connaissait et ses repères sont quelque peu chamboulés.
A la place du centre de voyage spatial, est construit un immense bâtiment dédié à un élevage de chevaux apparemment. Élisa n’a pas trop osé s’approcher pour s’en assurer. La ville est embryonnaire. Bien entendu, la maison de ses hôtes n’existe pas encore. Elle n’a trouvé à la place que de grands arbres et des fourrés très denses.
Elle est allée au point de vue de la Grande Cascade. Au moins ça, ça a peu changé en 500 anneaux d’or mis à part la passerelle qui n’est pas là. Mais en fermant les yeux elle se l’imagine aisément.
Elle a beaucoup cherché dans la forêt où Étoile Scintillant dans l’immensité de l’Univers l’avait emmené, et elle en a profité pour ramasser quelques baies qu’il lui avait montré. Mais se nourrir de baies est insuffisant pour maintenir ce corps en bon état de fonctionnement. Elle commence à sentir cruellement la faim. Alors qu’elle s’apprête à passer sa deuxième nuit dehors dans un abri de fortune qu’elle s’est construit avec des branches et des feuilles, elle entend une voix dans son dos.
– Alors c’est là que vous vous cachez Cristal de Lune.
Élisa se raidit. Cristal de Lune, c’est le nom du Commandant. Elle se retourne et découvre un homme Dalygarien d’un âge avancé.
– Ne me dites pas que vous ne me reconnaissez pas. Nous nous sommes rencontrés il y a trois lunes. Vous cherchiez l’étoile du matin.
– Je… je la cherche toujours, répond Élisa en hésitant.
– Mais nous l’avons trouvé. Je vous ai accompagné. Que me racontez-vous là. Vous êtes soufrant ? L’étoile du matin ne pousse que pendant une lune. Celle qui précède le levé de l’anneau d’or. Et c’était il y a trois lunes. Vous avez littéralement disparu après que nous l’ayons trouvé d’ailleurs…
– Je… je suis désolée. Je crois que je souffre d’une espèce d’amnésie. Quelque chose que j’ai mangé ou bu, je ne sais pas. Rappelez moi, on s’est rencontré comment ?
– Je me faisais griller du poisson au bord de l’eau un soir, tout au bout du bassin de la Grande Cascade et …
Élisa se dématérialise, laissant le vieil homme se demander ce qui l’avait retardé en chemin. Il avait devant lui un abris rudimentaire – qui avait pu construire une telle horreur ? Et il se dépêchait maintenant de regagner le sien.
Élisa quant à elle sait où elle doit aller maintenant : dîner avec un vieil homme au bord du bout du bassin de la Grande Cascade, trois lunes en arrière. Elle essaie quatre soirées avant de tomber sur lui. Il était moins une. Élisa ressent les premiers signes de faiblesse et trébuche en s’avançant vers lui. Tout affairé à préparer son repas, il n’avait pas encore remarqué sa présence.
– Il est très impoli de venir ainsi sans s’annoncer, lui lance-t-il, une pointe de colère dans la voix.
– Je suis désolée, je ne voulais pas vous faire peur. Je… suis perdue.
– Mais vous ne me faites pas peur, je vous demande simplement de me dire qui vous êtes, rétorque le vieil homme.
C’est là qu’Élisa comprend qu’elle n’a rien trouvé de mieux que de donner le nom du Commandant.
– Je m’appelle Cristal de Lune.
– C’est un nom bien court.
– C’est mon nom.
– Vous venez d’où ?
Élisa manque de se laisser envahir par la panique. Elle ne connaît strictement rien à la géographie Dalygarienne, mais elle répond finalement du tac au tac :
– Du Nord.
– Ah du Nord ? Je ne suis pas étonné alors. Cette région est l’endroit de prédilection des excentriques en tout genre.
– Eh bien moi j’aime bien mon nom.
– Il n’a pas du être facile à porter.
– J’ai réussi, je suis Commandant… des services spéciaux de Dalygaran et …
– Ne dites pas n’importe quoi. Je vois bien que vos habits ont quelque chose de militaire, mais “commandant” et dans un service spécial qui plus est, vous n’êtes qu’un gamin perdu dans la nuit.
Décidément cette étiquette lui colle à la peau. Quant à ce corps de voyage, elle a toujours su que c’était celui d’un jeune homme, mais c’est la première fois qu’elle se sent vraiment considéré comme tel. Maintenant qu’elle y repense, elle se dit que le Commandant ne faisait guère plus vieux. La mélancolie la saisie brutalement.
– Je… je…
– Oui ?
– J’ai faim.
– Écoutez, je ne sais pas qui vous êtes. La seule chose dont je suis certain c’est votre nom. On ne donne pas un nom pareil si ce n’est pas le sien, et je ne vais pas vous manger mon poisson devant le nez. Aujourd’hui la pêche a été bonne. Il y en a pour nous deux. Approchez.
Et c’est ainsi qu’Élisa se jette littéralement sur son premier vrai repas depuis son arrivée sur le Dalygaran du passé.
– Ch’est délichieux, dit-elle tout en mâchant frénétiquement.
Le vieil homme s’esclaffe :
– Je n’ai jamais vu quelqu’un manger de la sorte.
Il sort d’une musette posée à coté de lui quelque chose qu’Élisa reconnait. Du pain Dalygarien, fabriqué à partir de la farine d’une céréale locale.
– Vous en voulez, lui demande-t-il tout en coupant une tranche.
– Volontiers, merci.
Élisa aperçoit dans un petit bol tout à coté de la musette, des baies. Elle les pointe du doigt :
– Des baies savoureuses. Je les adore.
– Mais servez-vous. Vous mangez toujours aussi vite ?
– Je suis vraiment désolée, cela faisait longtemps que je n’avais pas mangé. Je vous l’ai dit, je me suis perdue.
– Perdu hein ? Un militaire.
– Je ne suis pas de la région.
– Mais il n’y a qu’un seul chemin pour venir ici. Comment peut-on se perdre quand il n’y a qu’un seul chemin?
– Écoutez, Monsieur, je sens bien votre incrédulité, et vous avez raison. Je ne vous dit pas la vérité. Mais je ne peux simplement pas.
Il est difficile de mentir effrontément à un Dalygarien. Il avait du ressentir son embarras. Élisa pense qu’en jouant carte sur table, elle le calmera.
– Vous n’êtes pas commandant et vous n’appartenez pas à l’armée Dalygarienne.
– Non.
– Vous avez pourtant des habits de type militaire et la coupe de cheveu qui va avec.
– Oui.
– Vous êtes perdu ?
– Oui.
– Et vous ne voulez rien me dire d’autre ?
– Non. Enfin si. Je cherche l’étoile du matin.
– Ici, au bord du lac ?
– Non. Ici, je cherchais de l’aide et je l’ai trouvé.
– Vous avez l’air bien certain de vous jeune-homme.
– Je sais que vous allez m’aider.
– Vraiment ?
– Je peux le sentir.
– Vous m’agacez.
– Je fais souvent cet effet là, les gens disent que je suis…
– Laissez moi deviner : impossible.
– Vous avez un coté agaçant vous aussi.
Le vieil homme sourit.
– Je vous aime bien Cristal de Lune. J’aime les gens sans chichi. Mais il se fait tard et nous devons nous reposer. Si vous voulez trouver l’étoile du matin, il nous faudra partir de très bonne heure demain matin.
– Nous allons où ?
– Je vais vous y emmener. Vous êtes du Nord. Je ne veux pas que vous vous perdiez à nouveau. Je serai votre guide.
Élisa ferme ses yeux quelques instants. Elle aurait préféré savoir où aller maintenant. Mais le vieil homme commence tout juste à lui faire confiance. Rien d’autre n’arrivera aujourd’hui. Et elle sait qu’elle a besoin de repos.
Elle réalise maintenant que ces quelques derniers jours sur Frigellya ont été bénéfiques finalement. Elle a réussi à calmer son impatience.
– Croyez moi jeune-homme, demain la journée sera longue. Mieux vaut partir en forme. La nuit est claire et nous pouvons dormir à la belle étoile. Cherchez un coin pour vous installer. Je vous réveillerai.
– C’est un bel endroit pour dormir, vraiment, et je tombe de sommeil. Encore merci pour ce repas que vous avez bien voulu partager avec moi. Bonne nuit.
– Mais de rien jeune-homme. Bonne nuit.
Élisa garde les yeux ouverts quelques instants face au ciel Dalygarien.”Demain tout sera fini” se dit-elle. “Demain, je sauve Dalygaran et l’aventure s’achève”. Elle ne peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Puis elle ferme les yeux, et s’endort d’un sommeil profond.
Bonsoir Annie,
Une chose m’échappe. Si j’ai bien compris, comme elle voyage dans le passé, elle est une anomalie et du coup personne ne se souvient d’elle (sauf si se sont des anomalies). Dans ce cas, comment le vieil « homme » Dalygarien peut se souvenir de sa première rencontre avec Elisa ? Elle a piqué un filtre de persistance sur Frigellya ?
Bonjour Cyrille,
Dans le chapitre « Jurassique » au sujet des anomalies Reymo précise : « Le souvenir revient si une nouvelle rencontre se produit. » Donc pas besoin de piquer le filtre de persistance 🙂
En clair, rien n’est jamais vraiment oublié, ça reste quelque part dans la mémoire et ça peut être activé à nouveau.