– Mes enfants, nous sommes heureux de vous revoir, dit le Roi. Approchez.
A la fin de leur dernier diner sur Frigellya, le Roi et la Reine avaient tenu à leur montrer comment il était d’usage de se saluer sur leur planète. Si la Reine aimait l’accolade beaucoup plus terrienne, sur Frigellya, on faisait autrement. C’était très simple et très pratique lorsqu’on était plusieurs. On se mettait en cercle puis on se tenait par la main et on levait celles-ci au centre du cercle une fois avant de les baisser à nouveau. Puis on se lâchait les mains, et c’était fait.
Élisa et le Commandant s’approchent donc du couple royal et de leur fils pour le salut collectif. Lorsque leur mains se séparent, la Reine prend la parole :
– Votre père a fait un scandale, dit elle à l’attention du Commandant.
– On a frôlé l’incident diplomatique, ajoute le Roi. Les autorités d’ici refusaient de croire qu’un Dalygarien vivait dans un corps humain, le Commandant en Chef de votre Armée qui plus est.
– J’ai aussi du mal à croire que je suis toujours Commandant en chef de l’armée Dalygarienne, répond celui-ci à voix basse.
– Ce n’est pas ce qui a mis votre père en fureur, précise la Reine.
– Père s’est fâché ? Mon père ?
– Il a parlé d’Élisa comme de votre fiancée, ce à quoi les autorités d’ici ont répondu que ce n’était pas possible. Un homme gamma ne pouvait se fiancer à une femme alpha, et ne parlons même pas de mariage.
– Non mais de quoi je me mêle ? David et moi on se marie si on en a envie, on a besoin de la permission de personne.
– C’est vrai… Dans l’absolu, répond le Commandant. Mais notre mariage ne serait pas reconnu dans l’Univers.
– L’Univers, on s’en fiche, s’indigne Élisa.
Le Commandant sourit. Lui aussi se fiche bien de l’approbation de l’Univers. Vivre avec Élisa est tout ce qui lui importe, marié ou pas. Mais il semble que son père ne soit pas de cet avis. Apprendre qu’il s’est fâché pour ça l’étonne vraiment.
– Si un jour vous vous mariez, je veux que ce soit au château, annonce la Reine.
– C’est très gentil de votre part Majesté, mais ma famille est de la Terre dans sa version alpha, et celle de David est Dalygarienne. On ne respire pas le même air. Je les vois mal assister à un mariage en scaphandre…
– On trouvera bien une solution pour que tout le monde puisse participer à la fête.
Les visages se tournent vers Christophe qui n’avait pas dit un mot jusqu’ici.
– Élisa, David, mes parents sont ici pour récupérer leur citoyen d’honneur. Vous êtes en quelque sorte sous protection Frigellyenne. Notre monde doit beaucoup à Dalygaran et j’ai quant à moi une dette personnelle vis à vis de vous Élisa. Et j’ai témoigné en votre faveur, pour changer votre statut.
– Pardon ?
– Rester une alpha alors que vous voyagez dans l’espace et le temps risque de vous causer quelques tracasseries un jour ou l’autre. L’Univers et sa manie de vouloir effacer la mémoire, vous savez…
Élisa sent que ce n’est pas le moment de parler de ses capacités mémorielles. Christophe continue :
– Je suis venu témoigner en votre faveur Élisa, pour m’avoir rendu mes parents grâce à vos capacités de voyageuse du temps et de l’espace. Votre statut est passé d’alpha à gamma. Ce qui fait qu’ils ne peuvent plus vous garder contre votre gré. Ils ont eu beaucoup de mal à accepter le fait que vous sachiez utiliser des technologies aussi avancées. Mais comme on ne peut pas mentir dans cette salle, ils ont du se rendre à l’évidence. Alors ils ont cherché des traces de vos escapades spatio-temporelles dans le passé de la Terre et n’ont rien trouvé. Ça aurait pu vous causer des ennuis sinon. Ils n’ont pu que constater que vous étiez digne du statut gamma et vous l’ont accordé.
– Christophe est allé en salle de vérité, dit le roi, mais les souverains ou les hauts militaires comme votre père ne peuvent pas s’y rendre. Question de protocole.
Voilà donc ce qui a mis Père en colère, songe le Commandant.
Le petit homme qui avait assisté à tous les échanges en silence se sent obligé de préciser :
– Les souverains ou les Haut Militaires ne peuvent passer en salle de vérité que pour leur propre défense. Ni Ces Majestés, ni votre père n’étaient accusés de quoi que ce soit. Élisa Martin, voici votre plaque Terrienne de niveau gamma.
Le petit-homme tend à Élisa une sorte de médaillon rectangulaire qui pend au bout d’un petit cordon. De matière argentée, la couleur de la plaque semble varier en fonction de son exposition à la lumière.
– Saisissez-le entre le pouce et l’index, lui dit le petit-homme.
Élisa fait ce qu’on lui demande, et la plaque devient alors noire.
– Vous pouvez arrêter de presser la plaque maintenant.
Élisa saisit le cordon et peut voir qu’un gamma doré se détacher sur le fond noir de chaque coté de la plaque.
– Votre enregistrement est terminé. Cette plaque reprendra petit à petit sa couleur argentée. Votre statut n’apparaitra que lors que vous toucherez la plaque. Elle ne réagira qu’à vos doigts. C’est une plaque à analyse moléculaire.
– Tu as une plaque de ce genre toi, demande Élisa au Commandant.
– La mienne est ronde et le gamma Dalygarien ne ressemble en rien au tien…
– Vous êtes désormais libre de partir, annonce avec emphase le petit-homme. Je vous conduit à la salle des transporteurs.
Et le petit groupe se met à suivre le petit homme dans le dédale de couloir. C’est la porte 42 qui est poussée cette fois. Reymo est là qui attend. Il fait signe de la main à Élisa et au Commandant.
– Ils vous attendent, dit-il à l’attention du jeune couple. Prenez tous un siège, nous partons.
Le transporteur se rematérialise au palais.
Les deux Martins sont là assis sur une banquette. C’est avec une joie non dissimulée qu’ils accueillent Élisa et le Commandant. Sylvestre se précipite pour serrer Élisa dans ses bras. Puis il fait de même avec le Commandant.
– Moi aussi je suis heureux de vous revoir Sylvestre, lui dit-il en lui tapotant le dos.
Paul s’avance lui aussi, et s’il sert Élisa et le Commandant de manière plus posée dans ses bras, il ne peut réprimer une larme.
– Je suis tellement soulagé, leur dit-il.
– Ces deux-là voulaient se rendre, leur apprend la Reine. Dès qu’ils se sont aperçus de votre disparition du transporteur, ils ont voulu rentrer chez eux pour vous faire libérer. Ils étaient certains que vous aviez été interceptés par les autorités de leur monde. Nous leur avons interdit. Le Roi et moi n’avons pas accepté leur évacuation pour qu’ils finissent leur vie à croupir dans les cachots du bout du temps.
– Nos contacts nous ont envoyé une alerte peu après votre départ en mission. Nous étions sur le point d’être localisés, nous devions partir le plus vite possible. Nous avons pensé à Mira et Reymo. C’était facile de les joindre. Nous avions enregistré le signal d’appel, lors que tu les a fait venir pour pouvoir te rendre sur Frigellya la première fois Élisa, commence Paul
– Nous enregistrons tout ce qui rentre et qui sort de chez nous, s’excuse Sylvestre. Nous leur avons expliqué la situation. Et la décision de nous évacuer sur Frigellya a été prise très rapidement. Nous t’avons aidé à retrouver le fils du couple royal, grâce à l’extracteur. Nous sommes devenus citoyens d’honneur Frigellyen maintenant.
– Il semble que ce soit le cas également pour nous deux David, répond Élisa.
– Mes amis, je dois vous laisser. J’ai confié Lucia à Nori. Je suis impatient de récupérer mon petit rayon de soleil, annonce Christophe.
– Puis-je venir ? C’est bientôt l’heure de ton entrainement avec Nori, je prendrai soin de Lucia en attendant que tu aies fini.
– Bien sûr mère. Lucia t’adore.
– Vous ne pensez tout de même pas que je vais laisser cette petite seule avec sa grand-mère, intervient le roi, sur le ton de la plaisanterie. Moi aussi elle m’adore.
– Je sais père. Allons-y tous les trois.
Et le trio s’en va.
– Il y a quelqu’un qui veut vous parler.
Une fois de plus, Mira est apparue dans leur dos, sans bruit. Elle ne se donne pas la peine de descendre du siège de son transporteur. Quelques tapotis sur sa tablette de navigation, et des sièges supplémentaires montent du sol. Prenez place, dit-elle à l’attention d’Élisa et du Commandant. Nous allons à notre abris. Sylvestre, Paul, tenez.
Mira leur tend une tablette de navigation.
– Vous savez comment ça marche maintenant. Vous êtes attendus par quelques éminences de la Haute Cour. Ne tardez pas. J’ai rentré les coordonnées, vous arriverez directement en salle de réunion.
– Merci Mira, dit Paul.
– Ils pilotent un de vos transporteurs ? demande Élisa, une pointe d’envie dans la voix.
– Ce n’est pas très compliqué, répond Reymo. Si vous restez un certain temps ici dans vos corps humains, nous allons vous apprendre aussi. C’est très pratique pour se déplacer.
– Que vont-ils faire avec les éminences de la Haute-Cour ?
– Élisa, nous parlerons de tout cela plus tard. Nous sommes attendus à l’abri.
Mira tapote sur la tablette de navigation, et quelques instants plus tard, les voilà qui sont à l’abri. Le grand écran est allumé, et deux visages s’y partagent l’espace : à gauche, le Commandant Suprême et à droite, Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Qu’est-il arrivé à Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers ? demande Élisa tout bas.
– Je crois qu’il est plus vieux d’une quinzaine d’anneaux d’or, répond le Commandant à voix basse lui aussi.
– Ton père n’a pas changé.
– Ce doit être la version de notre époque…
– Ah mes enfants vous voici ! Je suis très content de vous voir, s’exclame le Commandant Suprême.
– Eh bien si je m’attendais à ça. Vous êtes tous une bande de petits cachotiers. 16 anneaux d’or que vous savez que je vais vous sortir d’affaire et je n’ai jamais rien soupçonné, dit Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers sur un ton enjoué.
– Mon garçon, il s’agissait de votre futur, vous savez bien que personne ne pouvait rien vous dire.
– Commandant Suprême, je comprends parfaitement. Mais ça ne m’empêche pas d’être admiratif. Tenir sa langue aussi longtemps serait une torture pour moi.
– Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, tu as rencontré notre « messager », dit Élisa.
– Oui. Ce secret est déjà suffisamment difficile à garder pour moi. Je sais que je ne dois pas en parler ici. De l’identité du messager je veux dire.
– Peu importe qui mon garçon. Cette personne nous a permis d’avoir la date et le lieu exacte de détention de mes enfants et c’est tout ce qui compte. Vous avez bien fait de demander à me parler. Cette affaire concerne bien cette époque et non la votre. Vous avez eu le bon réflexe. Ma fille, mon fils, vous allez bien ?
Le Commandant Suprême ne s’était jamais adressé à Élisa en tant que « sa fille ». Jusqu’ici, il avait toujours dit « mon enfant »,mais dans la mesure où elle l’appelait « père » elle aussi, devenir sa « fille » n’était pas incongru. Elle aimait cette façon Dalygarienne de voir les choses.
– Père, nous n’avons pas été mal traité, ni menacé, à part de changer de statut si nous ne faisions pas ce qu’on nous demandait. Votre fils et moi n’avons pas cherché les ennuis. Nous nous sommes restauré et nous nous sommes reposés. Nous ne pouvions qu’attendre.
– Combien de temps s’est-il écoulé ici ? demande le Commandant.
– Mon fils, aujourd’hui sonnait le quatrième jour de votre disparition. Nous avons tous travaillé ensemble pour la meilleure issue possible. Les deux Martins nous ont expliqué leur monde et nos juristes – Frigellyens et Dalygariens – nous ont conseillé sur la marche à suivre. Nous avons votre position exacte depuis hier seulement.
– Je suis désolé. Je me suis un peu mélangé dans les dates, s’excuse Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Une erreur de deux jours sur une période de 16 anneaux d’or, ne soyez pas trop sévère envers vous même mon garçon.
– D’autant plus que pour nous, ça n’a pas été extrêmement long, renchérit Élisa.
– Je suis vraiment content de vous voir si… jeunes. Ces communicateurs inter-temporels sont formidables. J’ai l’impression de regarder le passé, alors que stricto-sensu vous êtes dans mon futur, dit Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Mon ami, c’est tout le paradoxe des voyages dans le temps, il n’y a aucune linéarité, répond le Commandant.
– Père j’aimerai vous montrer quelque chose, dit Élisa.
Et elle sort de sa poche sa plaque de statut, la presse entre son pouce et son index, et montre le résultat.
– C’est un gamma Terrien. Je fais complètement partie des vôtres maintenant.
– Cette plaque vous évitera sans doute bien des ennuis, mais vous faisiez déjà partie des nôtres Élisa, lui répond le Commandant Suprême.
– Personne ne pourra contester notre mariage maintenant, réplique Élisa.
– Vous allez vous marier ? demandent en cœur le Commandant Suprême, Mira et Reymo, tandis que le Commandant lui, dit plus personnellement et en même temps :
– On va se marier ?
– C’est ce que font ceux qui sont liés sur Dalygaran non ?
– Nous vivons sur Terre.
– Je sais. Tu veux bien te marier avec moi quand même ?
– Quelle question !
Élisa et le Commandant s’approchent l’un de l’autre, le temps d’échanger un tendre baiser.
– C’est dans ces moment-là que je regrette les ronronnements, lui glisse Élisa à l’oreille.
– Je les regrette aussi, lui répond-il à voix basse.
– Mes enfants, vous me comblez, dit le Commandant Suprême.
– Et moi je n’en reviens pas, rétorque Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers. Non pas de votre mariage, je suis euh… au courant, mais je ne savais pas que j’avais assisté à votre… votre…
– Engagement, complète le Commandant.
– C’est exactement le mot que je cherchais.
– Christophe a suggéré qu’il y aurait peut-être moyen pour que tout le monde puisse assister à la même cérémonie, je veux dire Terriens et Dalygariens ensembles. Ce serait formidable et j’espère vraiment que nous y sommes parvenu. Mais tu ne dois rien nous dire à ce sujet, Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers.
– Je sais Élisa, répond il en soupirant. Je crois qu’il est temps pour moi de dire au revoir à tout le monde. Je commence vraiment à avoir peur de faire une bourde. A très bientôt mes amis.
Tout le monde le salut en retour et il coupe la communication.
– Moi aussi je vais vous laisser mes enfants. Puis-je annoncer cette excellente nouvelle à vos amis ? L’Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers d’ici ne se doute de rien.
– Allez-y donc Père, répond Élisa en riant. Je n’ai pas besoin d’être là pour imaginer sa tête. A très bientôt.
– Au revoir mes enfants. A très bientôt.
Et le Commandant Suprême coupe la communication.
– Élisa ?
– Oui Mira ?
– Je ne sais jamais trop comment me comporter avec vous. Je ne suis pas comme la Reine, je ne suis pas à l’aise avec les accolades Terriennes. Mais je… je…
– Je pense que Mira voudrait vous montrer comment nous faisons sur Frigellya pour exprimer notre affection vis à vis de quelqu’un. Nous aimerions vous féliciter à notre manière, intervient Reymo.
– Approchez Élisa, et vous Commandant…
– David…
– David, approchez vous de Reymo. Vous allez voir, ce n’est pas compliqué. Il suffit de se faire face en levant les mains devant soit. Pas plus haut que vos épaules. Venez plus près. Nous devons pouvoir joindre nos paumes. Une pression. Une petite inclinaison de la tête, et c’est terminé. On sépare les mains. Félicitations.
– Merci répond Élisa tout sourire.
– Félicitations dit Reymo au Commandant.
– Merci.
– David, c’est à nous maintenant dit Mira.
– Élisa, si vous le voulez bien, dit Reymo.
Et la scène se répète.
– Nous allons vous conduire à vos appartements maintenant.
– C‘est une excellente idée.
– On a mis une garde-robe à votre disposition, vous n’êtes plus en corps de voyage… Vous resterez jusqu’au procès ? s’enquiert Mira.
– Quel procès ? répond Élisa.
– Celui des deux Martins, précise Reymo. Il est vrai que nous n’avons pas eu le temps de vous expliquer la situation. Nous le ferons ce soir en leur présence. Et ne vous inquiétez pas pour eux, ils ne risquent rien de fâcheux. Leur toute nouvelle citoyenneté Frigellyenne les protège.
– Je ne comprends pas, dit Élisa.
– Il sont poursuivis par les autorités de leur monde.
– Les Epsilons Terriens ?
– Oui.
– Et ils ne risquent rien ?
– Élisa, vous nous connaissez Reymo et moi, maintenant : nous vous en faisons la promesse.
– D’accord.
– Commandant ?
– David. S’il vous plait, appelez moi David.
– Bien David ?
– Je vous crois. Nous attendrons ce soir pour en savoir plus. Allons nous rafraichir un peu Élisa.
– Nous vous emmenons. Prenez un siège.
Et le transporteur se dématérialise pour se rematérialiser devant leur chambre.