Le couronnement avait été magnifique. Ce n’était pas seulement la décoration de la salle du trône, mais aussi celles des bâtiments et des rues, tous sous le signe du Gritchac : avec des drapeaux, des pièces de tissus qui tombaient des fenêtres, et de véritables œuvres d’art lumineuses couvrant les murs. Le trône lui-même était gardé par deux Gritchac géants et transparents, un mâle et une femelle. C’étaient ceux qui d’ordinaire étaient exposés au muséum d’Histoire de Frigellya, dans la salle des souverains. La lumière qui passait à travers dessinait de temps à autre de jolis arc-en-ciel à l’intérieur. Jamais Élisa n’avait vu statues aussi belles.
Quant à la future Reine, elle portait une robe longue et blanche, décorée de broderies dorées, notamment d’un Gritchac, juste en dessous de l’unique bretelle qui enserrait son épaule gauche. Elle reçu sa couronne, qui était plus un diadème, des mains mêmes de l’ancien Roi. Une couronne Frigellyenne est un objet personnel qu’un souverain reçoit pour toute sa vie. Celle d’Abina était dorée, comme toutes les couronnes Frigellyenne, avec une pierre blanche nacrée sur le devant.
Comme sur Dalygaran, c’était d’abord le peuple qui était en fête. Les rues s’égayaient d’une joyeuse animation. Abina avait fait le serment du souverain, après avoir parcouru à pieds, le chemin qui séparait le château de la Haute Cour, suivi par les anciens souverains, et prenant soin de saluer le plus de monde possible sur son passage. Les gens s’effaçaient devant elle pour lui laisser la voie libre.
L’événement était retransmis sur toute la planète par des projections extérieures dans le ciel. Élisa se demandait comment ça fonctionnait. Il n ‘y avait pas de support visible à proprement parler, mais il y avait une image en trois dimensions que chacun pouvait voir en levant la tête vers le ciel. Au fur et à mesure que les images se multipliaient, celui-ci s’était transformé en un véritable kaléidoscope géant. D’où qu’on était sur la planète, on devait pouvoir voir une de ces immenses projections sous un angle correct.
Lorqu’Abina eut fini son serment, elle reçut du précédent roi les clés de Frigellya. Élisa s’était demandée pourquoi on les avait appelées ainsi. Ces clés n’ouvraient ni ne fermaient absolument rien. Il s’agissait de deux anneaux dorés entrecroisés, finement ciselés, et de taille imposante. Seul celui qui les tenait dans sa main pouvait voir ce qui était gravé dessus : un Gritchac pour l’un des anneaux, une couronne pour l’autre ; le souverain et le noble animal, réunit pour protéger la planète, qu’on se transmettait de souverain à souverain.
Pendant ce temps-là, à l’espace Terro-Dalygarien de Frigellya
Sylvestre et Paul ont pu suivre le couronnement sur un écran dans la salle principale où la fête en l’honneur de l’espace Terro-Dalygarien va être donnée. Le déroulement de la cérémonie d’inauguration du seul endroit de Frigellya où ils auront droit de venir leur a été expliqué par le menu par Mira et Reymo, la veille au soir. Voyant que le cortège Royal arrive bientôt au château, ils se dirigent en pressant un peu le pas vers la porte que la nouvelle souveraine franchira dans quelques minutes.
Au dessus de la porte, un écran leur permet de voir où en est le cortège.
Sylvestre commence à se triturer les mains.
– Moi aussi je suis nerveux, dit Paul.
– Vraiment ?
– Sylvestre, nous avons vécu en clandestin pendant 25 ans. Nous avons fréquenté peu de monde et nous nous retrouvons là, à une fête dont nous sommes les invités d’honneur. Il y aura 300 personnes ce soir… Et regarde comment on est habillé…
Même si aucune tenue n’était exigée pour cette cérémonie, en tant qu’hôtes d’honneur, Paul et Sylvestre avaient souhaité se montrer sous leur meilleur jour. Ils avaient choisi tous deux un costume sombre fort bien taillé, bleu pour Sylvestre, marron pour Paul, et portaient dessous une chemise blanche.
Sylvestre sourit et se détend un peu.
– Je nous trouve très chic répond-il à Paul.
– Mais nous sommes très chics, rétorque celui-ci tout sourire. Ah les voilà.
Sylvestre et Paul attendent que la Reine se positionne juste devant la porte et fasse le petit signe de tête convenu pour l’ouvrir.
Abina attend quelques instants que la foule qui l’accompagne s’immobilise et fasse silence. Puis elle ouvre ses bras.
– Ça c’est l’invitation pour que les autres participants à la cérémonie d’ouverture de la porte la rejoigne, commente Sylvestre.
Tour à tour, dans leur écran les deux hommes voient l’ancien Roi, l’ancienne Reine, le Commandant, Élisa et Christophe s’approcher. La cérémonie d’ouverture de la porte se fait avec ceux qui ont ordonné la création de l’espace, ceux qui l’ont signé et leur témoin.
Enfin la nouvelle Reine hoche la tête, comme convenu, et les deux hommes ouvrent les deux battants de la porte. Élisa et le Commandant franchissent les premiers le palier, elle, se positionnant à coté de Sylvestre et lui à coté de Paul. Christophe prend place à coté d’Abina et son père l’imite en se mettant juste de l’autre coté. Quant à l’ancienne Reine, elle est au bras de son mari.
Tout le monde se prend la main pour le salut collectif Frigellyen. Le salut terminé, c’est Abina qui est la suivante à franchir le palier, suivie de tous les autres. Puis le groupe fait face à la foule, qu’ils saluent en baissant légèrement la tête.
– Faites entrer les invités et que la fête commence, dit très cérémonieusement Abina.
La veille au soir pendant le briefing sur le cérémonial qui venait de s’achever, Mira et Reymo avaient expliqué que les invités étaient tirés au sort parmi les habitants de la capitale. Le tirage désignait en général des foyers, mais chacun ensuite pouvait s’arranger comme il le voulait. Venir n’était pas une obligation. On pouvait céder sa place à quelqu’un d’autre.
– Vraiment ? s’était étonnée Élisa. Et il n’y a pas de marché noir ?
– Une invitation royale n’est pas une marchandise s’était indignée Mira.
– D’accord, d’accord, c’était juste une question de Terrien s’était empressé de répondre Élisa.
De retour dans la salle principale, d’où ils avaient regardé le couronnement, Sylvestre et Paul n’en croient pas leurs yeux. Ils avaient laissé une salle vide et la voilà remplie à la périphérie de tables couvertes de nourriture et de boissons. Les Frigellyens étant de fins connaisseurs en art de la table, les plats de ce jour sont d’une présentation soignée et colorée, où les châteaux, couronnes et même Gritchacs, sont à l’honneur, sous forme de sculptures ou tableaux alimentaires.
Une douce musique se fait entendre. La foule entre peu à peu dans la salle. Quand Abina estime qu’il y a suffisamment de monde, elle tend la main à Christophe. Puis ils se positionnent face à face, se tenant d’un coté par la taille et de l’autre bras à hauteur de leur épaule, paume contre paume.
– Inauguration du bal, chuchote-t-elle à l’attention d’Élisa qui les regarde avec de grands yeux.
– Oh, fait celle-ci.
La musique devenue plus forte, la foule se positionne instantanément à la périphérie de la salle pour regarder la nouvelle reine et son cavalier.
– Tu sais danser ? demande Élisa au Commandant.
– Bien sûr. Tu sais, en tant que Commandant en Chef d’une planète comme Dalygaran, c’était pour moi une sorte de devoir diplomatique.
– Tu veux dire que tu dansais à des réceptions sur d’autres planètes ?
– Oui, dans tout l’univers les peuples dansent. Pas partout dames et messieurs ensembles, mais j’avoue que moi, les danses en couple sont celles que je préfère.
– Toi, le ténébreux Commandant Cristal de Lune, tu aimes danser en couple ?
– Ténébreux ?
– Mystérieux, énigmatique si tu préfères. Tu n’étais pas quelqu’un de très abordable avant…
– … que tu ne viennes me faire perdre la tête.
– Rooh tout de suite les grands mots.
– Lorsque je dansais sur Dalygaran ou ailleurs, même avec une parfaite inconnue, ce que j’aimais, c’était la bienveillance qui se partageait, le simple bonheur d’accompagner quelqu’un en rythme. Sans doute ma manière à moi de décompresser d’un travail dans lequel je me laissais d’ordinaire totalement absorber. Et si les choses ont changé aujourd’hui, grâce à toi, j’adore toujours ça.
– Eh bien moi, je ne sais pas danser.
– Tu es partie avec la farandole sur Dalygran…
– J’ai utilisé mes capacités d’anticipation.
Pendant qu’Élisa et le Commandant discutent, petit à petit, d’autres couples se sont mis à danser entourant celui formé par Abina et Christophe. Le Commandant tend sa main à Élisa.
– On a qu’à essayer. On danse aux mariages terriens, n’est-ce pas, lui demande-t-il
– Oui.
– Alors très chère Madame, exerçons nous. Tu vas voir c’est facile. Ne pense à rien. Laisse toi guider.
Et les deux jeunes gens entament la toute première danse qu’ils aient jamais dansé ensemble.
– Tu te débrouilles très bien, lui glisse-t-il à l’oreille.
Sylvestre et Paul qui n’ont rien loupé de la scène les regardent maintenant tournoyer dans la salle.
– Monsieur, me ferez vous l’honneur de cette danse.
Paul se retourne brutalement, surpris qu’il est par la voix qu’il vient d’entendre.
– Nelly ?
– Oui, gros bêta, c’est moi.
– Ah pour une fois, ce n’est pas moi, se réjouit Sylvestre.
– Tu as quelques longueurs d’avance, réplique Paul.
– Ah ah, fait Sylvestre en retour.
– De vrais gamins, note Nelly les regardant tour à tour.
Puis elle ajoute :
– Sylvestre, je vais vous soulager de ce goujat pour la soirée.
– Vous avez toute ma gratitude, Nelly.
Et Nelly s’en va, tirant Paul par le bras.
– Mais viens donc, lui dit elle.
– Tu sais danser ?
– Pas plus que toi, j’en ai peur, lui répond-elle.
– C’est un détail finalement, n’est-ce pas ?
– Oui, un tout petit détail. Moi ce que je veux c’est être tout près de toi.
– Je vois ça. On n’était pas censé se voir avant une semaine.
– Eh bien, je fais tout pour réduire les délais. J’ai commencé par appeler avant la date que tu m’as donnée, ainsi ils ont eu l’opportunité de m’inviter à l’inauguration.
– Je… suis ravi que tu sois là. Vraiment.
– Oh Paul, cette attente est une torture. Je mourrai trop d’envie de te voir. Et là, je suis en train de me débrouiller pour ramener la construction de la salle d’opération de 3 semaines à 10 jours. J’ai beaucoup appris en organisation grâce à Raymond, et depuis que dans mon équipe, on sait qui vont être les prochains opérés, les gens sont passés de manière naturelle en mode relais. Le travail va être continu. On pourra arriver plus tôt pour l’assemblage ici.
– Et qui sommes nous pour eux ?
– Les créateurs de celui qui va nous rendre notre humanité.
– Ah ça en jette.
Tandis que Paul et Nelly tournoient à leur tour et à leur manière dans la salle tout en discutant, Sylvestre a la surprise de sentir quelqu’un lui tirer la manche.
– C’est toi le Terrien Sylvestre ? fait une petite fille.
– Euh oui.
– Alors viens.
Et la petite fille le prend par la main, et l’emmène à travers la foule.
– Elle, c’est Orielle, ma grande sœur. Elle ose pas venir te demander pour danser.
– Killya ! proteste la grande sœur. Veuillez l’excuser Monsieur, elle est petite. J’ai dit que je rêvais de danser avec vous, et elle m’a pris au mot.
– Pourquoi ?
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi rêvez-vous de danser avec moi ?
– Mais parce que vous êtes Terrien !
– … et non accompagné, poursuit la petite sœur.
– Killya !
Sylvestre se met à rire et se dit qu’il est temps pour lui d’apprendre à se détendre. Alors, timidement, il finit par dire « oui » tout en tendant sa main.
– Vous voulez bien ? demande Orielle incrédule.
– Oui, si vous me promettez d’être indulgente. Je n’ai jamais dansé.
– Je vous promets de vous apprendre tout ce que je sais.
Orielle lui saisit la main et la dépose sur sa taille.
– Fermez les yeux, lui intime-t-elle.
– Quoi ?
– Si vous n’avez jamais dansé, fermez les yeux. Voilà. Écoutez la musique, laissez la envahir tout votre corps. Vous entendez le rythme.
– Oui, je crois que oui.
– Laissez vous porter par lui. Balancez votre corps doucement maintenant. Voilà. Ouvrez les yeux. On va bouger ensemble. Allez, bougez vos pieds, et je suivrai. Sentez la musique. Super. Petit pas par petit pas. Voilà. Vous voyez, ce n’est pas difficile.
Sylvestre sourit, tout en faisant les tous premiers pas de danse de sa vie avec Orielle. Il apprécie vraiment, d’autant plus qu’Orielle prend vraiment sa promesse à cœur et lui apprend au fur et à mesure les autres pas de danse qu’elle connait. Au bout d’un moment elle demande :
– Vous danserez avec mes amies ensuite ? Elles n’ont jamais dansé avec un terrien.
Sylvestre rit à nouveau. Il n’a pas l’habitude d’être une attraction et il se dit que finalement c’est rudement plaisant.
– J’ai toute la soirée. Si vous pensez que vos amis veulent vraiment danser avec moi.
– Oh ça pour sûr.
Plus tard dans la soirée.
Sylvestre qui passe de jeune fille en jeune fille vient de décider de faire une pause. Elles sont toutes très curieuses et bien renseignées se dit-il.
Il a très envie d’une bonne boisson bien fraîche et se dirige donc vers les tables. Il en profite aussi pour manger quelques canapés. Un cri de joie le fait se retourner.
– Syvayyyyy
C’est Lucia qui l’appelle à sa manière. Elle se met à courir maladroitement pour se jeter dans ses bras. La petite s’était attachée à lui, lors de son court passage sur Frigellya. Un soir que Lucia était inconsolable, et que Christophe n’arrivait pas à la calmer, Sylvestre l’avait simplement pris dans ses bras et s’était mis à fredonner, ce que d’habitude il sifflotait lorsqu’il peignait. La petite s’était finalement tue pour l’écouter. Et depuis, dès qu’elle le voyait, elle tendait les bras pour qu’il la porte lui fredonne quelque chose. Il lui donnait de « ma petite princesse » et du « petit rayon de soleil», et la faisait tournoyer dans les airs, tout comme le faisait son père. Et Lucia riait aux éclats.
Et c’est ce qu’il fait là, maintenant, juste pour entendre son rire. Il entame ensuite quelques pas de danse avec elle, tout en fredonnant un peu.
– Tiens voilà papa, dit-il apercevant Christophe.
La petite tourne la tête vers Sylvestre, ignorant superbement son père.
– Oh tu veux encore danser. D’accord, mais une dernière alors et je te rends à ton père.
Lucia sourit et accrochée au cou de Sylvestre, tente de chanter sur la musique avec des « baabaa, baaa, baaaa ».
Lorsque la musique se tait, Sylvestre se dirige vers Christophe. Lucia s’agrippe à lui.
– Allez, on se dit au revoir. Tu me fais un câlin ? lui dit-il.
– Na, fait-elle.
Christophe apercevant la scène vient au secours de Sylvestre.
– Lucia, fait un bisou à Sylvestre. C’est l’heure d’aller au lit ma belle.
– Eh eh eh, ma princesse ne va pas pleurer. D’accord ?
Puis il l’embrasse sur la joue. La petite l’embrasse aussi. Et Sylvestre rend Lucia à son père. Il lui fait un petit signe de la main, qu’elle imite aussitôt. « Au revoir princesse », murmure-t-il.
– Aoua, répond Lucia.
Sylvestre est grandement troublé. Pendant tout le temps qu’il avait eu la petite Lucia dans les bras, il n’a cessé de voir le visage de la jeune fille qui occupe désormais sa chambre sur Terre. Il avait fini par en être gêné. Sylvestre se met à chercher ses amis. Il a subitement envie de rentrer. Apercevant Élisa affairée près d’une table, il s’approche d’elle pour lui demander à aller dans un endroit plus tranquille.
– Attend, je fais le plein. Je meure trop de faim.
Sylvestre patiente, jusqu’à ce qu’Élisa s’éloigne du buffet. Puis Sylvestre montre du doigt une porte et les voilà tous les deux qui sortent de la salle en fête.
– Ouah, qu’est-ce que c’est calme ici, fait Élisa alors qu’ils viennent juste de passer la porte.
– Élisa, je veux rentrer.
– Quoi, déjà ? Quelque chose ne va pas.
– Je… Je suis extrêmement mal à l’aise. Lucia est trop attachée à moi.
– Ah toi aussi tu as remarqué. Mais quel rapport…
– Elle s’est jetée dans mes bras.
– Hein ?
– Oui, elle commence même à dire mon nom…
– Oh ! fait Élisa, qui vient de se rendre compte de sa méprise.
– Mais quand la petite se pend à mon cou, c’est le visage de la grande que je vois, c’est extrêmement déroutant.
– Oh, je vois.
– Eh bien tu en as de la chance. Moi je ne comprends rien à tout ça
– Eh bien tu vis une sorte de grand écart émotionnel entre deux versions d’une même personne : la petite qui se montre très familière et la grande…
– … Qui n’en a aucune idée. J’ai l’impression de mal me conduire en laissant la petite se pendre à mon cou.
– Vis à vis de la Lucia adulte ?
– Je crois oui. Élisa, je suis complètement perdu, avec tous ces changements autour de nous ces derniers temps. Tu sais que Paul sifflote aussi maintenant ?
– Oui, je l’ai déjà entendu moi aussi. C’est contagieux tu sais. David aussi sifflote de temps à autre maintenant.
– Vraiment ?
– Ah, je te jure.
Élisa sent Sylvestre se détendre enfin.
– Je veux rentrer maintenant finit-il par dire tout de même.
– Tout le monde va te chercher, tu sais.
– Il suffira de dire que je suis épuisé. Je n’en suis pas loin… J’ai beaucoup dansé, ce soir.
– J’ai vu ça. David aussi a beaucoup de succès. Le Dalygarien dans un corps humain…
– Et toi ?
– Oui, l’unique Terrienne de niveau gamma du 25ème siècle, répond-elle en riant. Tu es sûr, tu veux rentrer ?
– Oui.
– Le transporteur est resté dans un coin du hall d’entrée.
– Je ne peux pas y aller.
– Je préviens David et j’arrive. Tu m’attends là ?
– Oh que oui. Je vais rester au calme.
De retour à l’appartement des deux Martins.
Lorsque le transporteur se matérialise dans le salon, une grande surprise attend Élisa et Sylvestre. Lucia est assise dans un fauteuil et face à elle son père et Abina, dans leur version plus âgée.
– Oh, fait Christophe, vous n’étiez pas censés rentrer si tôt.
– Sylvestre ? Nom d’un Gritchac, vous n ‘avez pas changé depuis la dernière fois que l’on s’est vu.
– Maman, il revient du couronnement.
– Maman ? demande Élisa
– Abina et moi avons fini par nous marier. Nous avons élevé Lucia ensemble.
– Je le savais, dit Élisa joyeuse.
– Qu’on était marié ? demande Abina.
– Que vous étiez fait l’un pour l’autre, répond Élisa. Votre histoire d’amour vient juste de commencer pour nous ici…
Sylvestre qui n’avait rien dit jusque là profite d’un moment de silence pour dire :
– Je ne sais vraiment pas pourquoi je ne suis plus venu sur Frigellya. Lucia ne m’a pas reconnu lorsqu’elle est arrivée ici, car je n’y suis plus allé alors quelle était encore très petite.
– Nous ne savons pas non plus, répond Abina.
– Oh.
– Sylvestre, Élisa, que se passe-t-il, pourquoi être rentré si tôt, demande Abina.
– Sylvestre est…
– … venu chercher une toile ou deux pour immortaliser la soirée, complète celui-ci.
Élisa ouvre de grands yeux en regardant Sylvestre. L’étonnement est partagé par Abina et Christophe.
Lorsque Sylvestre revient avec une grande toile, Abina prend la parole.
– Vous aviez laissé du matériel sur Frigellya. Je vous avais montré la pièce dans laquelle nous l’avions stocké.
– Oui, je sais. Mais il n’y avait pas de toile de cette taille là, répond Sylvestre.
– J’avais toujours supposé que les tableaux que vous aviez fait ce soir là venaient tous de ce stock… murmure Abina.
– Il n’y a que cette toile qui viendra d’ici. On y va dit-il, à l’attention d’Élisa.
– On y va.
Après qu’ils aient disparus, Abina murmure :
– Dans mon souvenir tout le monde était parti très tard… On a loupé cet aller retour.
Puis se remémorant le déroulement de la soirée, elle ajoute plus haut :
– Tu sais Lucia, Sylvestre avait eu un succès fou ce soir là. Il a dansé avec des tas de jeunes filles, et …
Tout à coup Lucia se lève et s’en va en courant. Ses parents entendent un bruit de claquement de porte.
– Oh, fait Abina.
Christophe et elle se regardent.
– Quelle mouche l’a piqué, demande Christophe.
– Notre fille est amoureuse on dirait…
– Oh.
– Tu comprends maintenant pourquoi Sylvestre n’est plus venu sur Frigellya. Il ne pouvait pas être engagé émotionnellement avec deux Lucia. La petite était très attachée à lui. Le pauvre… ça a du être déchirant pour lui.
– Tu crois que ces deux-là vont…
– Tu te souviens d u mariage de David et Élisa ? Il était venu avec une jolie jeune fille. Elle ne te rappelle pas quelqu’un aujourd’hui ? C’était quoi son nom déjà ?
– Oh non !
– Oh si !
– J’étais loin d’imaginer…
– Et moi donc. Allons parler à notre fille.
Sur Frigellya, dans une pièce calme l’espace Terro-Dalygarien
– Je te croyais épuisé.
– Rester là-bas, avec ces trois là dans le salon, je crois que c’est encore pire que d’être ici.
– Vraiment ?
– Trois personnes qui ne savent pas pourquoi j’ai arrêté de venir sur Frigellya. J’ai senti leur totale incompréhension. Ça ne m’a pas vraiment mis à l’aise. Soit je repartais avec toi, soit je me sauvais comme un sauvage dans mon atelier… J’ai choisi la solution où j’apparaissais le moins… euh asocial.
– Ça te turlupine cette histoire, hein ?
– Pourquoi je ne suis plus retourné sur Frigellya ?
– Oui. Peut-être que c’est en rapport avec ce que tu m’as raconté tout à l’heure sur Lucia. Tu ne sais plus comment te comporter avec l’enfant parce que tu n’arrives pas à te détacher de l’image de l’adulte.
– Oui, c’est vrai, et ?
– Sylvestre, tu ne comprends vraiment pas ?
– Je suis désolé, je ne vois pas ce qu’il y a comprendre.
– C’est pas grave, gros bêta.
– J’aimerai qu’on cesse de me traiter de gros bêta.
– C’est affectueux.
– Eh bien soit affectueuse avec quelqu’un d’autre.
– Oh mais quel grincheux. Allez viens. Tu veux vraiment peindre, ou c’était pour la galerie ?
– Peindre va me détendre, voire même me reposer. Je vais aller chercher les couleurs et le pupitre.
Lorsque Sylvestre revient dans la salle en fête, Abina l’aperçoit et s’avance vers lui.
– Ah vous avez trouvé votre matériel.
– Euh oui.
– J’ai hâte de voir vos œuvres.
– Je vais me trouver un coin « tranquille » pour m’installer.
– Ça va être difficile s’esclaffe Abina.
– Ce n’est pas grave répond Sylvestre, puis repérant un espace à la périphérie de la salle sans table, il s’en va s’y installer.
En plus de la grande toile prise chez lui, Sylvestre dépose à ses pieds les deux autres qu’il a récupéré dans le réduit Frigellyen. Du regard, il cherche Orielle. Ne la trouvant pas, il prend une des petites toiles et commence à la dessiner de mémoire.
– C’est ma sœur que tu dessines, demande Killya.
– T’es toujours debout toi, lui répond Sylvestre.
– Je ne suis plus un bébé répond la fillette vexée.
– Tu as raison, tu n’es plus un bébé, fait Sylvestre. Tu sais où est ta sœur ?
– Elle est sortie prendre l’air. C’est vrai que toi tu peux pas sortir ?
– Oui, c’est vrai. Je dois rester dans l’espace Terro-Dalygarien. Si tu la vois tu peux me l’envoyer ?
– D’accord, fait la fillette.
Puis elle tourne les talons.
Sylvestre s’est attaqué à la grande toile, lorsqu’Orielle se plante devant lui.
– Killya m’a dit que vous me cherchiez.
– Oui, j’ai quelque chose pour vous jeune fille.
Et Sylvestre lui tend le portrait qu’il a fait d’elle avec écrit en bas à droite : « A celle qui m’a appris à danser. Sylvestre le Terrien. »
– C’est pour moi ?
– Oui, en souvenir d’une excellente soirée.
– C’est pour moi ?
– Oui, c’est ce que j’ai dit.
Orielle se saisit du portrait.
– C’est pour moi !
Sylvestre éclate de rire.
– Oui, Orielle. Et j’espère que comme moi, vous vous souviendrez de cette soirée toute votre vie.
– Ça ne fait aucun doute Monsieur le Terrien. Merci. Vous êtes vraiment un chic type.
Et Orielle s’en va à toutes jambes, pressée qu’elle est de montrer ce trophée à ses amies.
« Chic type, ça me change de gros bêta » se dit Sylvestre. Puis il se remet à sa grande toile.
De leur coté, Paul et Nelly ne se sont pas quittés de la soirée. Lorsqu’ils aperçoivent Sylvestre et sa toile, ils s’approchent de lui.
– Qu’est-ce que tu fais ? demande Paul.
– Je me détends.
– Ce n’était pas le sens de ma question.
– Je sais.
– Ça ne vous arrive jamais de vous arrêter, vous deux ? Vous êtes terribles.
– J’immortalise cette soirée à ma manière. Ce tableau restera ici. Ce sera mon cadeau à la Reine. Mais je n’en suis qu’au début.
– J’ai faim, fait Nelly. Vous avez déjà mangé Sylvestre ?
– Oui, tout à l’heure j’ai grignoté un peu. Allez, sauvez-vous, la nourriture commence à se faire rare sur les tables…
– A plus tard Sylvestre, fait Nelly.
Il répond d’un signe de la tête et les regardent s’éloigner en direction des buffets. Ils ne sont pas arrivés au milieu de la salle, qu’une annonce emplit la salle.
– Mesdames et messieurs, veuillez gagner la périphérie de la salle et vous tenir près des tables de buffet. Dans quelques instants, la piste de danse accueillera une troupe d’acrobates dans la plus pure tradition Terrienne. Tout le monde sera ensuite convié à une grande farandole Dalygarienne et nous entamerons tous ensuite le chœurs Frigellyens qu’a choisi notre Reine en l’honneur de nos invités.
« Mira et Reymo ont oublié de nous parler de ce détail de la soirée, lors de leur briefing », se dit Élisa.
Les acrobates entrent en scènes. Élisa avait déjà vu plusieurs spectacles de cirque dans sa vie, mais c’est la première fois qu’elle en voit un avec son empathie Dalygarienne. La fascination qu’elle ressent de la part des gens qui l’entoure est envoûtante et contagieuse.
Son Dalygarien préféré est presque bouche-bée. Elle passe sa main dans son dos, enserre sa taille et se blottit contre lui.
– Ils sont en élastique, lui murmure-t-il a l’oreille.
Elle lui répond par un sourire. Face à eux, la troupe est en train de former une pyramide humaine, certains pendus aux autres dans des contorsions curieuses, tandis que d’autres évoluent autour d’un mat, allant jusqu’à former un drapeau humain avec leur corps à l’horizontal. Un autre groupe encore s’essaie à toutes sortes d’équilibres dont il est permis de se demander comment ils sont simplement possibles. L’ensemble est quelque peu étourdissant.
Dans son coin, Sylvestre s’est arrêté de dessiner et s’est levé pour mieux voir. Il n’avait jamais assisté à ce type de spectacle jusqu’alors. Comme tout le monde, il est subjugué.
Lorsque le numéro est terminé, comme annoncé, c’est la farandole Dalygarienne qui commence, menée par la Reine en personne. Élisa et le Commandant se laissent happer, attrapant sur leur passage, Paul, Nelly et Sylvestre. Très vite, la grande farandole se subdivise en plusieurs petites, et comme sur Dalygaran, leur rencontre donne lieu à l’exécution de figures plus complexes. Mais comme les Frigellyens ne sont pas des spécialistes de ce type de danse, c’est plutôt un joyeux cafouillage qu’il est donné de voir jusqu’à ce que chaque farandole reprenne son propre chemin.
Lorsque la musique s’arrête, c’est Christophe qui d’une voix puissante entame seul le chant en l’honneur des invités venant de la Terre du XXVème siècle et du Dalygaran de la même époque. Puis l’ensemble de la salle reprend en chœur. Élisa n’avait pas ressenti telle émotion sur un chant depuis que les enfants de Dalygaran avaient entamé la chanson du levé de l’Anneau d’Or.
Sans comprendre comment, Élisa, le Commandant, Paul, Nelly et Sylvestre se retrouvent au centre de la salle, et la foule commence à former des cercles autour d’eux. Puis les cercles se mettent en mouvement, l’un après l’autre en direction opposée, ce qui fait qu’au bout du compte, un cercle sur deux va dans la même direction.
Élisa et le Commandant se sont pris par la main. Nelly a agrippé le bras de Paul et Sylvestre aurait bien aimé avoir quelqu’un à qui se raccrocher, tant ça lui donnait le tournis.
Lorsque la chanson se termine, les cercles s’ouvrent et la Reine s’avance vers le groupe au centre, au bras de Christophe, s’arrête à quelques pas d’eux et s’incline en une gracieuse révérence, imité par Christophe, un peu plus raide. C’est le plus grand honneur qu’une reine Frigellyenne puisse faire à des invités.
– Si la Reine s’incline devant vous, leur avait dit Mira au briefing, venez à sa rencontre. La personne qui se trouvera face à elle devra lui tendre la main pour la relever. Ne la faites pas trop attendre, ce serait impoli.
C’est le Commandant qui tend sa main à la Reine et même si rien n’avait été dit au sujet de Christophe, Élisa prend l’initiative de lui tendre la sienne.
– La personne qui a relevé la Reine s’incline à son tour, avait ajouté Mira.
Le Commandant et Élisa s’inclinent donc, et lorsque la Reine et Christophe à leur tour tendent leur main pour les relever, des applaudissements nourris montent dans la salle. Lorsque ceux-ci se calment un peu, la Reine fait quelques pas quelque pas seule vers le centre de la salle et annonce cérémonieusement: « que la fête continue ». Et aussitôt la musique reprend.
Paul et Nelly, qui n’avait pas pu manger avant l’extinction des lumières pour le spectacle d’acrobate ont la surprise de voir que les tables sont toutes très bien fournies à nouveau.
– Allons manger dit Paul, entraînant Nelly avec lui.
La musique reprend, et la foule réinvestie le centre de la salle pour danser.
Sylvestre repart dans son coin pour dessiner. Quant à Élisa et le Commandant, ils décident d’aller prendre un peu l’air dans les jardins du Château. Il y a un petit banc près d’une fontaine qu’ils aiment tout particulièrement. Lorsqu’ils sont assis Élisa dit :
– Il va falloir qu’on décide d’une date pour notre mariage, maintenant que l’espace est inauguré, ça peut être n’importe quand.
– Sur Dalygaran, on célèbre les mariages le jour du levé de l’anneau d’Or. Quand deux personnes liées annoncent qu’ils veulent se marier, le mariage a forcément lieu le levé d’anneau d’Or suivant. La cérémonie est collective, et la fête est grandiose. J’ai vu que c’était bien différent sur Terre. J’ai pris mes renseignements, dit le Commandant. Il poursuit :
– Marions nous sur Terre peu avant le prochain anneau d’Or et participons à la cérémonie sur Dalygaran ensuite. Père sera ravi.
– Et ça nous fait quand ça ?
– Il faudra que je fasse le calcul, mais à la louche environ 3 mois, ou 4 tout au plus.
– Ouah, ça va être court.
– Court ? Moi je trouve au contraire très long.
– Mais il faut tout organiser, prévenir les gens, acheter la robe, trouver un traiteur.
– Ah, la Reine ne t’a pas dit ?
– Laquelle, la nouvelle ou l’ancienne ?
– L’ancienne, celle qui nous a proposé le château. Elle s’occupe de tout ce qui va se passer ici, buffet, orchestre, bref, elle va t’organiser une noce à la Terrienne dont tu te souviendras. Nous n’avons qu’à trouver les invités.
– Et la robe…
– Je n’ai pas réussi à la dissuader de nous offrir aussi nos tenues.
– Et ça s’est passé quand ça ?
– Après le procès de Sylvestre et Paul, avant qu’on ne reparte de Frigellya. Elle m’en a parlé comme si tu étais au courant. Enfin, c’est ce que j’ai pensé…
– Je ne l’étais pas.
– Je vois ça. Tu veux qu’on fasse autrement.
– Je… Je ne souhaite pas la vexer. Mais il va falloir qu’on discute avec elle. Nous ne pouvons pas avoir un mariage royal, si tu vois ce que je veux dire.
– Oh tu crains que ce soit un peu trop…
– Royal.
– On va aller la voir avant de partir. Promis.
Puis les deux jeunes gens restent silencieux un bon moment à regarder les étoiles.
– On y retourne ? dit soudain Élisa.
– Allons-y.
Lorsqu’ils reviennent dans la salle, pour la première fois de la soirée, ils aperçoivent Nori. L’ancien Roi et l’ancienne Reine, qui s’étaient fait très discrets eux aussi, l’accompagnent. Le jeune couple se dirige vers eux. Après les salutations, l’ancienne Reine dit :
– On l’a presque sorti de force de ses appartements.
– Je n’ai pas le cœur à la fête, proteste Nori. Je viens juste vous saluer…
– Vous avez déjà vu les autres ? demande Élisa.
– Nous venons d’arriver, précise l’ancien Roi.
– Nori, Paul est venu avec une amie, Nelly. Regardez ils sont là-bas, dit le Commandant en pointant le couple du doigt. Venez donc avec moi que je vous présente.
Élisa reste avec les précédents souverains.
– Majesté, dit –elle s’adressant à la Reine, j’aimerai parler de notre mariage à David et moi. C’est très gentil d’avoir proposé de l’organiser ici. Même si je ne sais toujours pas comment on va faire pour amener nos invités Terriens ici, mais je…
– Ne vous inquiétez pas mon enfant. Mira et Reymo ont déjà pensé à un dispositif. Si j’ai bien compris, les invités vont arriver ici en passant par un ascenseur, qui sera en fait un transporteur. Ils débarqueront dans la salle des fêtes sans se rendre compte qu’ils ont changé de planète. Pour sortir, ils devront reprendre l’ascenseur qui les ramènera directement sur Terre à leur époque, et d’ici, s’ils regardent aux fenêtres, ils auront une vue conforme au quartier Terrestre où ils sont censé.
– Majesté, il y a autre… chose…
– Je vous écoute, mon enfant.
– Vous savez, sur Tette, j’ai un statut social, et je ne suis pas supposée avoir un mariage trop somptueux…
La Reine éclate de rire.
– Mon enfant, nous mettrons tout en place, mais c’est votre mariage à David et vous. Vous aurez forcément votre mot à dire. Nous proposons, vous disposez, jusqu’à ce qu’on soit tous d’accord.
– Et pour la robe, je…
– Élisa, tout ce soir-là sera Terrestre : la nourriture, la musique, jusqu’au mobilier, commence la Reine.
– Nous aimerions que vous acceptiez de porter une robe Frigellyenne, ce serait un très grand honneur pour nous, poursuit le Roi.
Élisa n’a pas le cœur de les décevoir et finit par accepter.
« Je me débrouillerais avec maman », se dit-elle.
– Oh, ce type de réception n’est pas pour les gens de notre âge, dit la Reine.
Et le vieux couple prend congé tout en soupirant.
Élisa cherche son compagnon des yeux. Elle l’aperçoit, toujours avec Nori, en pleine discussion avec Sylvestre. Elle les rejoint et ne manque pas de jeter un œil à la toile de Sylvestre.
– Eh bien Sylvestre, tu t’es surpassé, lui fait-elle.
Ce dernier lui sourit.
– Tout le monde semble être de cet avis, répond-il non sans une certaine satisfaction dans la voix.
Paul et Nelly viennent d’arriver à leur hauteur.
– Je suis fourbu, dit Paul.
– Tu n’es qu’une petite nature, fait Nelly, le taquinant. Y-a-t-il un volontaire pour me servir de cavalier, pendant que ce monsieur se repose un peu ? Nori, vous venez d’arriver, ne seriez vous pas tenté par un petit tour de piste ?
– Je…
– Oh allez-y mon vieux, sinon elle va avoir ma peau, dit Paul, sur un ton faussement implorateur.
Et Nelly d’autorité prend la main de Nori et l’entraine sur la piste de danse.
– Vous savez, ce soir j’ai dansé pour la première fois de ma vie, et lui là-bas – elle désigne Paul du menton – aussi. Apprenez moi quelques trucs que je puisse lui en mettre plein la vue, lui dit elle en se mettant à chuchoter. Soyez chic…
Le ton suppliant de Nelly fait enfin sourire Nori, qui chuchote à son tour sur un ton espiègle un « vous allez le regretter ».
– C’est ce que nous allons voir, répond Nelly, une pointe de défi dans la voix.
– Elle est redoutable, dit Paul. Quelques secondes avec elle et il sourit déjà. Elle s’est mise en tête de lui changer les idées, après qu’il lui ait raconté pourquoi il était si morose. Elle est terrible son histoire.
– Oui, c’était une sale journée, renchérit Élisa.
Après un moment de silence, Sylvestre dit :
– Nelly est une femme formidable. J’espère un jour trouver quelqu’un moi aussi.
Paul chuchote à l’oreille d’Élisa :
– Il n’a toujours rien remarqué ?
– C’est compliqué, lui répond-elle en chuchotant également.
Cette réponse laisse Paul perplexe.
Après quelques danses Nelly revient.
– Je suis épuisée, fait-elle. C’est à mon tour d’avoir besoin d’un peu de repos. Nori, vous êtes un sacré danseur et un excellent professeur. Merci beaucoup de votre patience.
– Nelly, ce fut un plaisir. Élisa, ça vous dirait de danser avec moi ?
– Bien sûr.
Et elle s’en va avec Nori. Sylvestre déclare soudain que son tableau est fini. Il lui reste une toile.
– Je pense savoir ce que je vais dessiner sur celle-là dit-il au trois autres qui sont restés à coté de lui, mais j’aurai besoin d’être un peu seul.
Apercevant Orielle, il dit au Commandant :
– Cette jeune fille là-bas est fan des Terriens. En tant qu’unique terrien d’origine Dalygarienne, vous pouvez faire un tabac David. Celui-ci éclate de rire.
– Compris, je lui fais faire un tour de piste.
– Et vous deux, vous n’avez pas faim… ou soif ?
– Ok, ok, on s’en va, bougonne Paul. Quel sauvage tu fais.
– C’est l’hôpital qui se fiche de la charité, réplique Sylvestre.
Paul fait mine de n’avoir rien entendu.
– Eh bien c’est ma fête. Ces derniers temps, il ne me loupe pas celui-là, glisse-t-il à l’attention de Nelly.
– Il sort de sa coquille, c’est une bonne chose, rétorque-t-elle.
Paul soupire.
– Hey, vieux bougon, tu devrais t’en réjouir, dit Nelly en lui donnant un petit coup de coude dans les côtes. Sylvestre, tout comme toi va bientôt devenir humain. Il a sa propre vie à vivre. Vous deux vous allez devoir couper le cordon ombilical.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Paul, tu t’es attaché à ce gamin au fil de toutes ces années. Tu ne t’es peut-être pas montré très affectueux envers lui, mais il est important à tes yeux.
– Je sais ça.
– Mais bon sang Paul, c’est toi qui l’a élevé au final, tu t’es même pas rendu compte de ça ?
– Élevé ?
– Oui, élevé. Tu l’as récupéré qu’il n’avait que 5 ans, c’est ça ?
– Oui.
– Et pendant 25 ans, tu as été son seul référent.
Paul ne répond pas tout de suite, il semble réfléchir.
– Tu veux dire que j’ai joué le rôle d’un « père » ?
– C’est ce que je veux dire.
– J’ai été un père calamiteux alors.
– Mais un père quand même.
– Moi je me voyais plus comme un grand-frère.
– Quand le grand-frère élève son cadet, il joue le rôle du père.
– Ok, ok, je me rends.
– Sylvestre finira bien par trouver quelqu’un un jour…
– Quelqu’un l’a déjà trouvé.
– Vraiment ?
– Lucia ne le quitte pas d’une semelle, et ce grand bêta n’a encore rien remarqué.
– Il a vécu 25 ans comme un sauvage avec Grincheux lui-même. Il a des circonstances atténuantes, je dirais.
– Oh merci beaucoup.
– Vous avez fréquenté du monde ?
– Très peu.
– C’est bien ce que je dis. Des sauvages…
Paul ne relève pas, mais Nelly peut sentir cependant sa contrariété.
– Eh tu sais quoi ? Si on se remettait à danser ? lui propose-t-elle.
– Je bois un coup d’eau et on y retourne, d’accord.
– D’accord.
De son coté Sylvestre entame son dernier tableau de la soirée.
Celle-ci s’écoule doucement au rythme de la musique, et des danseurs dans la salle.
Quand le tableau est terminé, Sylvestre se lève pour aller se désaltérer.
– Il se fait tard, je m’en vais lui dit Orielle qui s’est précipité vers lui dès qu’elle l’a vu se lever.
– Que diriez vous d’une dernière danse ?
La jeune fille sourit ravie et Sylvestre et elle se lancent sur la piste.
Lorsqu’il a terminé, Sylvestre prend congé avec le salut Frygellien, et retrouve ses amis qui se sont regroupé près de son pupitre.
– C’est… nous, fait Paul, montrant la toile.
– Oui, c’est pour Nelly.
– Sylvestre, c’est très gentil. Paul et moi on est…
– … Rayonnants. Nelly, vous êtes une magicienne. Moi, j’ai plutôt eu droit à Monsieur Grognon
– Et c’est reparti, murmure Paul tout en soupirant. C’est ma fête aujourd’hui.
– Qu’est-ce que je disais, s’amuse Sylvestre.
Nelly empêche Paul de répondre en lui mettant un doigt sur la bouche, et l’enlaçant de l’autre bras.
– Je suis exténuée fait Élisa.
– Allons saluer et nos hôtes et rentrons, poursuit le Commandant.
– Je… reste encore un peu avec Nelly. Je rentrerai avec son transporteur.
– Nous avons décidé de rester jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne. Nous avons encore des tas de choses à nous dire, précise cette dernière.
– Sylvestre, tu viens avec nous ? demande Élisa.
– Oui, bien sûr.
– Au revoir alors vous deux, fait Élisa.
– Au revoir, font Paul et Nelly en chœur.
Bonjour Annie
Question idiote, cela ressemble à quoi un Gritchac ? Un oiseau, ou autre chose?
Le Gritchac est une sorte de dragon 🙂
Salut Annie, je vois que les Frigellyens font la fête de la même manière que les Terriens : il y a des buffets et on danse jusqu’à épuisement. Ils n’ont donc pas inventé une autre manière de faire … En tous les cas, ça semble être une belle fête ! J’ai hâte de découvrir les festivités du mariage.
Les Terriens et les Frigellyens comme ils se ressemblent sur le plan physique ont développé un mimétisme sur à peu près tout 😉
Mais le Commandant dit aussi que dans tout l’univers, la danse est ce qui se pratique lors des fêtes y compris protocolaires…
Salut,
ça m’a semblé bizarre que la future mariée accepte si facilement la proposition de la Reine et du Roi : « Élisa n’a pas le cœur de les décevoir et finit par accepter ». Elle est dans quelle posture là : la fuite ou la soumission ? C’est quand même son mariage et c’est une humaine. A moins que ce soient ses aptitudes Frigellyennes qui lui permettent de prendre de la distance aussi facilement. Tu expliquerais ça comment toi ?
En fait, ce n’est pas vraiment à la Reine qu’elle a cédé, mais au Roi. C’était la robe qui posait problème. L’organisation elle n’a pas eu de difficulté à s’en défaire. Le roi est le plus discret des deux, et il lui demande une chose pour la première fois. Élisa sait que le Roi et la Reine se sentent redevables pour leur avoir ramener leur fils. Elle leur laisse en quelque sorte l’opportunité de payer leur « dette » à leur manière, en s’impliquant à leur tour dans quelque chose qui la touche de près. Ce n’est pas de la fuite ou de la soumission, c’est de la compassion…