Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers revient de la cuisine tout sourire.
– C’est prêt dans un peu moins d’un cent… commence-t-il à dire, puis :
– Mais où sont passés les autres ?
– Ils sont dehors, répond sa femme.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas.– Commandant Suprême ?
– Je ne sais pas non plus. Asseyez vous donc mon garçon, nous allons les attendre.
– Je…
La porte d’entrée s’ouvre sur Élisa et le Commandant. Le couple s’approche de la table mais reste debout, tout comme Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers qui leur fait face.
– Alors mon fils, que se passe-t-il ?
– Un imprévu Père.
Réalisant la nature très humaine de cette réponse, le Commandant poursuit plus dalygariennement :
– Un transporteur Frigellyen nous attend. Nos corps humains sont à l’intérieur et nous devons les réintégrer dès que possible.
– Nos amis Epsilons, ceux qui m’ont aidé sur Terre pour l’étoile du matin et qui nous hébergent actuellement semblent avoir des ennuis. Ils ont souhaité quitter la Terre de toute urgence. Ce sont eux qui surveillaient nos corps. Ils ne pouvaient pas nous abandonner sur place sans personne pour prendre soin de nous alors que nous étions en plein déplacement spatio-temporel.
– Vos amis Epsilons sont des Frigellyens finalement ? demande Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora.
Élisa sourit et répond :
– Je ne sais pas d’où ils viennent vraiment. Mais nous avons des amis communs qui sont Frigellyens et qui sont venus les chercher en transporteur, eux et nos corps…
– Paul et Sylvestre sont ici ? demande Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers qui a pris l’habitude de les avoir via le communicateur. J’aimerai tellement les voir.
– Mon fils, il n’y a aucun danger dehors apparemment. Pourquoi n’irions nous pas tous saluer vos amis ?
A l’attention de ses hôtes Élisa précise :
– Les Frigellyens ont des transporteurs bien particuliers. Il n’y a pas de murs à proprement parler. Ils voyagent dans ce qu’ils appellent une bulle de sécurité totalement transparente, ce qui fait qu’on a toujours l’impression qu’ils n’y a pas de transporteur. Venez, vous allez comprendre tout de suite.
Et le petit groupe sort juste devant la maison. Mira est toujours sur le devant de la bulle et les deux Martins sont un peu en retrait.
Élisa toujours à l’attention de ses deux hôtes :
– A l’intérieur de la bulle, ils peuvent respirer comme sur leur planète. Terriens et Frigellyens respirent le même type d’air. Je n’aurai pas besoin de combinaison respiratoire quand j’irai chez eux. Seules les Frigellyens et les personnes enregistrées par le système de navigation peuvent entrer dans la bulle.
Sylvestre et Paul ayant reconnu Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers se sont avancés et lui font un signe de la main.
Élisa se charge des présentations, en désignant de la main chaque personne qu’elle nomme :
– Fleurs Parfumée de la Plaine d’Isadora, Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, le Commandant Suprême, père de David, Mira, officier Frigellyen et tout au fond là-bas son époux Reymo, autre officier Frigellyen, et nos deux Epsilons Sylvestre et Paul.
Il semble que chacun ait choisi de se saluer simplement d’un sourire et d’un geste de la main.
– Ils sont tous très pâles, glisse Fleur Parfumée de la Plaine d’Isadora dans l’oreille d’Élisa qui se retient de pouffer de rire.
– Nous allons devoir aller au centre spatial pour prendre nos pilules d’extraction, annonce le Commandant.
– Ce ne sera pas nécessaire, lui répond Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers. Je voulais que vous puissiez rester à la maison aussi longtemps que vous le souhaitiez. Alors j’ai pris deux pilules avec moi pour qu’éventuellement vous puissiez partir d’ici. Ce n’est pas très protocolaire, mais les corps de voyage ne risquent rien ici et je me débrouillerai pour les ramener au centre.
– Mon fils, puisque vous allez rejoindre vos corps humains, j’ai une requête. Si vos amis Frigellyens n’y voit pas d’inconvénient, avant que vous partiez tous, j’aimerai vous voir tous les deux Élisa et toi dans vos enveloppes humaines.
Reymo qui entre temps s’est approché répond :
– Il n’y a vraiment aucun soucis à ce sujet Monsieur. Nous sommes vraiment navrés d’avoir interrompu votre soirée. David et Élisa connaissent déjà l’hospitalité Frigellyenne. Ils pourront rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent chez nous, ainsi que leurs amis.
– Père, les deux Martins n’ont pas eu le temps de nous expliquer ce qu’il en était, mais dès que nous en saurons plus, nous te tiendrons au courant.
– Le Frigellya où nous allons est dans un futur assez éloigné d’ici, intervient Paul. Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, vous avez toujours été notre contact sur Dalygaran, nous aimerions vous confier un communicateur d’un genre spécial…
– Un communicateur inter-temporel ?
Étoile Scintillant a bien du mal à cacher sa jubilation en prononçant ces mots.
– Vous allez me confier un communicateur inter-temporel ?
– Oui, c’est tout à fait ça. Reymo, les objets peuvent-ils franchir la bulle ?
– Nous devons abaisser le bouclier de protection pour cela. Mira, tu es près du panneau de commande.
– Attendez un instant, demande Sylvestre, qui s’éloigne du groupe pour aller fouiller dans une boite. Je l’ai ! s’écrie-t-il soudain.
Puis il revient à l’avant de la bulle.
– Le bouclier est abaissé, vous pouvez lancer l’objet.
– Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers, il est à vous.
Et Sylvestre envoie le communicateur dans les airs. C’est Élisa qui l’attrape dans un geste réflexe, au moment où l’objet passe à hauteur de son épaule droite. Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers est juste à deux pas derrière elle. Elle se retourne et lui tend l’objet. Ce dernier incline la tête en guise de remerciement et dit :
– Il faut rentrer à l’intérieur maintenant. Vous devez être allongés lorsque vos pilules d’extraction feront effet. Venez, je vais vous les donner.
Le Commandant et Élisa, chacun sur un des canapés du salon prennent leur pilule puis s’allongent. Leurs esprits dès qu’ils sont libérés s’en vont rejoindre leur corps humain.
Dans la bulle de sécurité Frigellyenne, ils ouvrent les yeux. Ils ne tardent pas à se lever pour se rendre l’avant de la bulle, la main dans la main.
– Nous voici Père.
– Vous êtes… Vous êtes… étonnants. Il me semble reconnaître ton regard mon fils, et vous jeune-fille, vous êtes fidèle au portrait que j’ai pu voir. Je pense que nous allons devoir vous laisser partir maintenant. Tenez nous au courant de la suite des événements.
Tout le monde se dit au revoir de la main.
– Que chacun prenne place sur un siège du transporteur, demande Mira qui a la tablette de navigation à la main. On y va !
Lorsqu’ils se matérialisent, une surprise de taille attend le Commandant et Élisa.
– Mais qui êtes vous ?
La question émane d’un petit homme engoncé dans un costume sombre agrémenté d’un écusson doré sur l’épaule droite et qui leur fait face. Deux colosses se tiennent juste à coté d’eux, un à gauche d’Élisa, l’autre à droite du Commandant.
Autour d’eux, au mur des lumières qui clignotent et des boutons, et rien que dans leur vision périphérique, il peuvent deviner dans la pièce des femmes et des hommes assis à des pupitres et tapotant sans doute sur des écrans devant eux.
– Ce ne sont pas les presque-humains. Qui a rentré la requête d’interception ?
– Moi Monsieur : j’ai demandé à intercepter les deux personnages génétiquement proches des humains dans le transporteurs Frigellyen.
– Vous êtes certaine ?
– La requête est encore à l’écran, vous pouvez venir la lire.
Élisa et le Commandant ne peuvent pas voir qui a répondu car la voix est venue de dans leur dos. Mais il s’agit d’une voix féminine, ça c’est certain.
Le petit homme passe derrière le Commandant et Élisa, qui sont toujours encadrés par les deux colosses. Alors qu’ils suivent machinalement le petit homme de la tête, l’un des deux colosses leur dit immédiatement : « On ne bouge pas, on regarde droit devant ». Élisa et le Commandant s’exécutent sans discuter.
Élisa sait désormais ce qu’elle a à faire dans ce type de situation. Le Commandant et elle, la veille au soir, après le repas au Palais sur Frigellya avait tenu une sorte de débriefing sur le comportement à adopter en mission, en cas de danger. Élisa avait émis le souhait de ne plus être mise de coté. Le Commandant avait quant à lui émis ses règles. Il savait que c’était sur le terrain qu’elle apprendrait le plus vite et elle avait soif d’apprendre. Ils avaient conclu un pacte de confiance mutuelle. Elle ne pensait pas alors qu’il serait si vite mis à l’épreuve.
La règle générale en mission sur le terrain était de paraître inoffensif. Leur empathie Dalygarienne et les capacités qu’ils avaient développé chacun de leur coté étaient leur botte secrète et par conséquent devaient totalement passer inaperçues.
« Je dois me concentrer » se dit Élisa dont l’esprit s’était mis à vagabonder au souvenir de cette soirée-là. « Il me fait confiance, j’observe, je prends note et je reste impassible ».
Le petit homme est revenu face à eux.
– Encore une fois qui êtes vous ?
Ne ressentant aucun réel danger, le Commandant estime ne pas devoir répondre.
– D’accord. J’étais venu pour une arrestation, mais ne sachant pas qui vous êtes, et ne vous sentant pas disposé à nous le dire, je vais vous conduire dans une zone d’accueil. Dans cette zone, vous êtes nos invités. Vous ne devrez en aucun cas quitter cette zone. Le non-respect de cette règle changerait votre statut. Vous deviendriez fautif vis à vis de nous.
Je sais que vous comprenez parfaitement ce que je vous dis. On est dans un monde Epsilon ici. Toutes les langues sont psychiquement traduites, même dans leur forme les plus archaïques.
Alors, voilà ce qu’il va se passer, je vais vous amener dans notre espace d’accueil. Ce seront vos appartements en attendant d’être interrogé en salle de vérité par un officier assermenté. Ce ne sera sans doute pas moi. Mon agenda est complet pour la journée. Comme son nom l’indique, la salle de vérité est un endroit où on ne peut pas mentir. Refuser de répondre dans cette salle, changerait également votre statut.
– Nous avons compris, finit par dire le Commandant.
– Mais vous savez parler, c’est une bonne nouvelle, répond le petit homme sèchement.
– Les deux gardes sont-ils utiles, leur demande-t-il ensuite.
– Non, répond le Commandant.
– Si vous tentiez quoi que ce soit en chemin…
– Ça changerait notre statut, complète Élisa.
– Oh la demoiselle aussi sait parler. Parfait, suivez moi.
Élisa et le Commandant suivent le petit homme dans un dédale de couloirs assez froids. Puis il fait halte devant une porte qui ne se distingue en rien de toutes les autres aperçues, le numéro affiché mis à part : « 106 ». L’homme se contente de pousser la porte pour entrer.
– Vos appartements dit il avec emphase. Vous êtes libres d’aller dans toutes les pièces que vous pourrez ouvrir. La seule porte que vous ne devez pas franchir, c’est celle-là. Elle est facile à reconnaître, c’est la seule que vous trouverez ici avec un numéro dessus. Poussez cette porte, et vous changez de statut.
– Nous ne pousserons pas cette porte, dit le Commandant.
– Nous verrons, répond le petit homme. Lorsque je serai sorti, cet espace doit enregistrer deux signes vitaux distincts. Bonne journée.
Et le petit homme s’en va.
– Qu’est-ce que tu en penses ? demande le Commandant à Élisa dès qu’ils se retrouvent seuls.
– Nous l’avons énervé, mais je pense qu’il dit la vérité.
– Je le pense aussi. Le seul dispositif de surveillance ici est au sujet de notre présence. Il semble que nous sommes tombé dans un monde très protocolaire où le statut dans lequel on se trouve est très important.
– Il a peur de qui nous pouvons être.
– Oui, je l’ai senti aussi.
– Tu as entendu ce qu’il a dit : « ce ne sont pas les presque-humains ». Tu crois qu’il parlait des deux Martins ?
– Oui, je crois que oui.
– Tu sais ce que c’est des presque-humains ?
– Oui, ce n’est pas la première fois que j’en entends parler.
– C’est dans le futur, n’est-ce pas ? Les deux Martins viennent du futur.
– Oui. Ils m’ont dit qu’ils venaient d’un futur très lointain
– Et c’était quand ça ?
– Le jour où ils nous ont proposé d’habiter leur étage. Je leur avais dit que je faisais des recherches à leur sujet et que je n’avais rien trouvé. Ils m’ont demandé de ne plus le faire tout en m’indiquant qu’ils venaient d’un futur très éloigné, ce expliquait mon manque de résultat. J’aurai du tilter à ce moment là.
– Que veux-tu dire ?
– Je pensais juste qu’ils n’étaient pas humains. J’ai mal interprété ce que je voyais.
Élisa hausse les sourcils invitant le Commandant à continuer son explication.
– Les humains qui vivent en couple sont en général amants non, je me trompe ?
– On peut vivre avec un de ses proches…
– Oui mais ces deux là, bien que portant le même nom n’étaient pas de la même famille, c’est une des premières choses qu’ils m’ont dites lorsque je me suis réveillé sur Terre. Aucun lien de parenté entre eux. Vivant sous le même toit depuis fort longtemps, il se connaissent par cœur, mais je n’ai pas senti d’amour entre ces deux là. Enfin Sylvestre, peut-être que lui … Mais peu importe. Ils se tolèrent, parce qu’ils sont complémentaires. J’en ai conclu qu’ils ne pouvaient être humains. Mais je n’ai pas pensé aux presqu’humains, car ils voyagent d’ordinaire en couple mixte. Tu pensais qu’ils étaient quoi toi, tu en avais une idée ?
– C’est vrai que j’ai cru au départ que c’était un couple d’hommes. Mais je me suis rendue compte assez vite que c’était autre chose. Ces deux-là étaient à part, je veux dire, tout le monde les détestait au centre de voyage spatial de la loterie. Ils avaient une réputation de personnages hautains et dédaigneux. Je ne savais pas qui ils étaient, mais je savais que ce qui les rassemblait : c’était leur différence, et ce bien avant que j’apprenne qu’ils étaient des epsilons. Tu peux m’expliquer « presque-humain » ?
– Élisa, les presque-humains, sont des corps incomplets qu’on a fabriqué pour y insérer la copie d’un esprit nettoyé de ses souvenirs personnels. Personne n’a jamais réussi à créer un esprit. Mais certains savent les copier.
– C’est glauque ce que tu racontes. Qu’entends-tu par incomplets ?
– Comme nos corps Dalygariens. Tu sais, on peut éprouver des sentiments, mais on ne peut pas être amants. Si on n’avait que ces deux corps là, on ne pourrait pas être lié. On devrait se contenter de l’affection qu’on se porte. On pourrait juste ronronner.
– Il ne faut pas être lié pour ronronner ?
– Ça n’est pas nécessaire. Il y a différent types de ronronnement…Tu veux bien qu’on en parle un autre jour ?
– Oui, je pense qu’il n’y a pas d’urgence. Et tu n’as pas fini ton explication sur les presque-humains. Pourquoi on crée des gens incomplets ?
– Les humains sont très jaloux de leur passé, ils ont monté des flottes de voyageurs du temps qui partent pour des missions très longues. Qu’ils soient incomplets permet d’éviter des situations paradoxales telle que devenir le père ou la mère d’un de ses ancêtres.
– Ce sont les humains qui font ça à d’autres humains ?
– A des presque-humains.
– Tu sais ça depuis quand ?
– Je suis le gardien du continuum temps sur ma planète. M’informer sur le futur de nos voisins fait partie de mon travail.
– Les Dalygariens nous considèrent comme des voisins ?
– Nous ne sommes séparés que par un portail.
– Oui, j’ai entendu parlé de cette histoire de portail…
– Chaque civilisations finit par évoluer vers les stades supérieurs tu sais. La Terre un jour découvrira la technologie qui lui permettra de construire les transporteurs et atteindra ainsi le stade beta. Puis, elle passera au stade gamma avec la découverte des voyages dans le temps. Beaucoup de civilisations choisissent d’en rester là. Le stade delta est passé lorsque la capacité de voyager par la pensée est perdue au profit des compas. Nos amis Frigellyens sont ainsi. Et le stade Epsilon est celui de ceux qui savent construire des êtres totalement artificiels. C’est toujours dans cet ordre que les choses se passent. Les Epsilons sont en général des gens très procéduriers qui protègent leurs mondes avec une foultitude de règles. Tu as entendu parler de la justice des Epsilons ?
– Oui…
– Ces gens-là sont au bout de l’évolution technologique. Ils contrôlent tout, jusqu’à la vie, qu’ils peuvent recréer. Les règles leur sont vitales. Ils sont très inventifs. La justice des Epsilon est célèbre, car elle est indiscutable.
– Mira et Reymo semblaient en avoir très peur.
– Je pense que ça aussi on en reparlera plus tard. Les Frigellyens de part leur capacité à ne rien oublier sont un cas particulier dans l’Univers. Ils ont des accrochages réguliers avec les peuples Epsilons.
– Et ici on est chez des Epsilons ?
– C’est ce qu’a dit l’homme qui nous a conduit jusqu’ici.
– Et ils voulaient arrêter des presque-humains…
– C’est ce qu’il a dit.
– On est sur Terre ?
– C’est ce que je crois.
– Dans un futur très lointain.
– Oui, je ne savais pas que la Terre avait fini par atteindre ce stade…
– Tu sais ce qui nous attend ici ?
– J’en sais autant que toi.
– D’accord. Donc la stratégie du moment c’est d’éviter de changer de statut.
– Oui, quand on ne connaît pas vraiment les règles d’un monde, on évite de jouer avec. On ne sait pas vraiment ce qu’il nous attend si on change de statut. Alors on ne change pas de statut. On va rester très sage.
– On pourrait visiter dans ce cas.
– Allons-y.
Le moins qu’on puisse dire c’est que cette zone d’accueil est immense. Élisa et le Commandant ont compté pas moins d’une dizaine de chambres, chacune avec une salle de bain privative. Ils ont également un grand espace avec beaucoup de sièges, sans doute une salle de conférence, et une immense bibliothèque avec des livres à l’ancienne, c’est à dire en papier.
Élisa ne peut s’empêcher d’en prendre un dans ses mains. Elle a toujours été fascinée par le papier.
– Tu vois, dit-elle au Commandant en agitant le livre devant elle, le papier, il n’y en a pratiquement plus sur Terre à mon époque, enfin je veux dire à notre époque. Et je me damnerai pour avoir accès à un espace de ce type. Et bien, aujourd’hui, là, à l’instant, ce papier m’est presque égal. Je donnerai cher pour voir un visage familier.
Sentant une présence, Élisa et le Commandant se retournent brusquement. Élisa ne peut réprimer un cri de surprise. Là devant eux, le corps de voyage qu’elle occupait il n’y a pas si longtemps que ça.
– David, tu ressens la même chose que moi.
– Oh oui.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– C’est le lien.
– Le lien ?
– C’est notre enfant.
– Quoi ?
– Élisa, tu ne connais pas le lien parent-enfant Dalygarien. Moi si. C’est la première fois que je le ressens en tant que père, mais je suis certain de ce que c’est, crois moi.
– Papa, maman, vous êtes si… jeunes.
– Notre enfant ? On a un enfant.
– Toi tu ne nous dis rien de notre futur, d’accord?
– Papa, maman et toi vous n’avez pas arrêté de me le dire. Le futur ne doit jamais être révélé. Je comprends votre insistance aujourd’hui.
– On a une fille, murmure Élisa.
– Je n’ai pas dit que j’étais une fille.
– T’es pas une fille?
– Si, enfin… Maman, je n’étais pas censée le dire. Mais je n’ai jamais su vous mentir…
– On a une fille, répète Élisa.
– Et elle est dans un corps de voyage Dalygarien.
– Le mien. Enfin celui que j’utilise désormais.
– On a une fille, murmure le Commandant.
– Et elle est devant vous.
– Tiens, elle est comme moi elle n’aime pas qu’on parle d’elle comme si elle n’était pas là.
Une cavalcade est entendue dans les pièces avoisinantes. « Signes vitaux dans la bibliothèque. » entendent-ils crier.
– Cache toi, intime le Commandant à sa fille. Ne discute pas.
– Mais je…
– Jeune fille, tu fais ce que ton père te dit. Tout de suite.
Élisa s’est approché de sa fille pour pouvoir lui parler le plus bas possible. Les pas s’approchent, elle ne peut se permettre de crier. Cette dernière fini par obtempérer. Il n’y a pas beaucoup de cachettes possibles, elle a juste le temps de se baisser derrière un imposant canapé trônant au milieu de la pièce lorsque la porte s’ouvre sur trois hommes.
– Nous avons trois signes vitaux sur nos écrans. Le troisième est apparu brutalement. Nous devons fouiller la pièce.
– Il n’y a rien que nous deux dans cette pièce. C’est une fausse alerte. Votre matériel a du rencontrer un dysfonctionnement. Retournez en salle de contrôle et prenez votre temps.
Les trois hommes tournent les talons et sortent de la pièce.
– Pfiou, c’était moins une ! Mais j’aurai pu le fair…
La fille du Commandant et d’Élisa met la main sur sa bouche.
– Je suis une idiote, alors c’est comme ça que vous avez su…
– Tu as la capacité de suggestion toi aussi ? demande le père.
– Oui papa. D’un autre coté, je n’étais pas certaine d’où j’étais.
– On reparlera de cela plus tard, nous devons faire vite. Tu dois disparaître de leur écran avant qu’ils ne soient revenus à la salle de contrôle.
– Puisque tu es en corps de voyage Dalygarien, tu vas retourner à ton époque et prévenir Étoile Scintillant dans l’immensité de l’Univers. Dis lui que nous avons été enlevés, le jour où les deux Martins ont été évacués sur Frigellya.
– Quoi ?
– Je n’ai pas le temps de répéter. Tu nous a obligé à te cacher cela jusqu’à aujourd’hui. Alors maintenant tu écoutes sans m’interrompre et tu réponds aux questions. Je suppose que tu es un pilote hors pair comme ta mère.
– Je ne sais absolument pas piloter ce truc. A vrai dire, c’est ma première fois.
– Quoi ? Et tu as atterri ici ? Est-ce que tu sais où on est ?
– Sans doute sur la Terre, au bout du temps.
– Au bout du temps?
– C’est là que j’ai toujours voulu aller, depuis toute petite, là où le futur n’est pas encore écrit.
– Pour un premier saut, je doute que ce soit possible dit le Commandant.
Élisa et lui se regarde et ils disent tout à coup ensemble :
– Le régulateur !
Devant le regard interrogateur de sa fille le Commandant poursuit :
– Fouille dans les poches de ta combinaison. Commence par la jambe droite.
– Il n’y a rien dans la poche droite.
– Alors dans la gauche ?
– Oui, j’ai un truc sous les doigts. Tiens le voilà.
– C’est lui, le régulateur. Parfait. Rien d’autre dans les autres poches ?
– Non rien..
– Bien, tu vas te servir de la fonction “retour” du régulateur. Il n’est jamais éteint ce truc là. C’est lui qui t’as emmené jusqu’ici. Il a enregistré ton premier saut, indique Élisa.
– Tu vas voir Étoile Scintillant dans l’Immensité de l’Univers et tu lui racontes tout, rajoute le Commandant.
– Il va être très fâché. J’ai… hem, comment dire… emprunté ce corps…
Le Commandant est contrarié, mais il n’a pas le temps de parler plus avec sa fille. Il doit aller à l’essentiel.
– A toi de le convaincre de t’écouter. Il est empathique, il est capable de ressentir ce que tu ressens. Et quand dans le futur, on se retrouvera nous trois, tu nous diras que ça vient de se passer aujourd’hui. Je pense qu’on comprendra. Et nous déciderons de ce que nous allons faire avec toi, jeune fille, dit le père.
– Sauve toi vite maintenant. Il te suffit de penser retour + 1 mn. D’accord ?
– D’accord maman. Enlevés le jour où les deux Martins ont été évacué sur Frigellya.
– C’est ça.
Le corps de voyage occupé par la fille d’Élisa et du Commandant disparaît.
– J’espère qu’elle est partie à temps et qu’elle est bien arrivée, s’inquiète Élisa.
– D’une manière ou d’une autre, nous n’allons pas tarder à le savoir.
– On n’a même pas eu le temps de la serrer dans nos bras. Dis tu crois que ça va être toujours comme ça notre vie ? Je veux dire, vivre les choses dans le désordre. Nous venons de rencontrer notre fille adulte. Tu crois que je suis enceinte ?
– Tu n’es pas enceinte, je le sentirai.
– Pardon ?
– Enfin si je garde sur Terre l’essentiel de mes capacités Dalygariennes, ce qui semble le cas jusqu’ici. Un père Dalygarien est capable de ressentir très vite son enfant dans le ventre de la mère, alors que la perception de la mère est brouillée par le fait que cela se passe dans son propre corps. Il faut un peu plus d’une lune pour qu’elle puisse différentier son corps de celui qui grandit en elle.
– Alors tu le sauras avant moi ?
– C’est fort possible.
– Dès que tu le sens, tu me le dis. Tu crois qu’on en aura combien ?
– Je ne sais pas, lui répond-il en riant.
Le silence s’installe un instant puis Élisa annonce :
– J’ai faim. Il doit bien y avoir un endroit avec à manger.
– j’ai remarqué des sortes de pictogrammes dans chaque chambre.
– Je les ai vu aussi. Et il y en a effectivement un qui évoque de la nourriture dans mon petit cerveau de terrienne alpha.
Élisa et le Commandant entrent dans la première chambre sur leur chemin. Près d’une table joliment décorée sur un des cotés du lit, il y a effectivement des pictogrammes dessinés aux murs.
Distributeur tactile, se demande Élisa à elle-même, tout en appuyant sa main sur le dessin.
Une voix se fait entendre immédiatement :
– Bonjour, nous allons prendre votre commande. Le menu va s’afficher devant vous. Veuillez faire votre choix.
Une partie du mur s’allume et une liste de plats s’affiche, ainsi qu’une liste de boissons.
– Choisi pour moi, je ne suis pas encore très à l’aise avec la nourriture terrienne, demande le Commandant.
– Il semble que les spaghettis sont arrivés au bout du temps dit-elle en tapant du doigt sur la ligne correspondante. Je vois là du poulet, et tiens, ça peut être intéressant, une salade de fruits. Je choisi une boisson, de l’eau fera l’affaire. Je suppose que le bouton vert là en bas c’est pour valider.
– Avez vous terminé votre commande ? Si oui, appuyez une seconde fois sur le bouton vert. Sinon, veuillez continuer votre sélection dans le menu.
Élisa s’exécute.
– Voici votre commande.
Un panneau s’ouvre dans le mur et un petit tapis roulant se déploie jusque sur la table. Élisa et le Commandant voient deux assiettes arriver, chacune avec leur couvert, ainsi qu’un bol rempli de salade de fruits et une seule cuillère. Un des pictogrammes du mur se met à clignoter.
– On dirait un verre.
Élisa appuie avec sa main sur le pictogramme et une voix demande :
– Combien de verres ?
– Deux, répond-elle.
Alors que la bouteille d’eau apparaît sur le tapis roulant, un autre panneau du mur s’ouvre laissant apparaître deux verres. Le Commandant les prend pour les poser sur la table. Le panneau se referme ensuite.
– Bien, dit-il, spaghettis sauce, euh…
– Tomate, vu la couleur, il y a de forte chance. Laisse moi gouter… Hum, oui, et une pointe de basilic, c’est une herbe aromatique…
– Pas mauvais, en effet. Et le poulet, ça je connais.
– Je trouve qu’il a une drôle d’allure.
– Goutons.
– D’accord. Oh oh. Je dirais poulet coco. Enfin ça y ressemble. Poulet tropical que c’était écrit.
– Je trouve ça très bon. Bien nous avons plus qu’à nous partager tout ça.
Élisa et le Commandant attaquent leur repas, en terminant par la salade de fruits, décevante, selon Élisa.
– David, je crois que nous n’allons pas tenir jusqu’à ce qu’on vienne nous chercher. Je tombe de sommeil maintenant, et tu n’as pas l’air en meilleur forme.
– Ça fait longtemps que nous sommes debout. Le voyage spatio-temporel ne compte pas comme du repos pour nos corps Terriens. Attend j’ai vu un pictogramme qui pourrait représenter un oreiller. Il est de l’autre coté de la pièce.
Le Commandant contourne le lit, appuie sur le pictogramme, et un autre panneau du mur coulisse, laissant apparaître un oreiller. Dès que le Commandant s’empare de l’oreiller, le panneau se referme. Le Commandant s’allonge sur le lit et met l’oreiller sous sa tête. Il étend le bras à l’attention d’Élisa. Celle-ci vient s’installer contre lui, la tête sur son épaule, et ne tarde pas à s’endormir. Le Commandant aime entendre sa respiration s’apaiser. C’est à ce moment là en général que lui-même réussi à s’endormir à son tour.
Élisa et Commandant sont réveillés par un petit bruit répétitif : on frappe à la porte. Le même petit homme que celui qui les avait amené là entre sans attendre d’y être invité.
– Vous êtes identifié. Nous aurions gagné du temps si vous nous aviez parlé. Nous nous excusons pour ce regrettable incident. Vous êtes attendus. Veuillez me suivre…
Le petit homme tourne les talons, Élisa et le Commandant se lèvent d’un bond du lit et le suivent en silence. Ils dépassent la salle d’où ils étaient venus la première fois. « Numéro 36 » avait noté Élisa lorsqu’ils en avaient franchi la porte. Et c’est la numéro 1 que cette fois-ci ils poussent et découvrent ceux qui sont venus à leur rescousse : La Reine, le Roi, et Christophe.